Agir pour le bien commun nourrit mon quotidien
Propos recueillis par Marie-Chantal Couture - 1er avril 2022
Alors qu’il vient d’être élu à la mairie de Québec en novembre 2021 pour un premier mandat, monsieur Bruno Marchand a accepté de répondre à quelques questions de Spiritualitésanté. Il nous parle de ses appuis, de ses motivations et de ses rêves pour la ville de Québec.
Marie-Chantal Couture : D’abord, accepteriez-vous de nous faire part de votre parcours professionnel, question de permettre à tous nos lecteurs de mieux connaître le nouveau maire de Québec en poste depuis environ deux mois?
Bruno Marchand : Je suis né à Limoilou, quartier populaire de Québec. J’ai fait les mille et un coups dans mon quartier d’enfance, particulièrement influencé par le Patro Roc Amadour que j’ai fréquenté pendant plusieurs années. Les valeurs de cet endroit ont bercé toute mon enfance. Mes parents étaient très pratiquants et c’est à l’église que j’ai appris à parler en public puisque ma mère s’occupait de la liturgie et personne d’autre ne voulait faire les lectures. Malgré le peu d’intérêt que j’avais, je reconnais que ces lectures en public m’ont été utiles de fil en aiguille et m’ont permis de développer mes habiletés. Mon parcours universitaire a commencé par la philosophie, puis en travail social. Mes premières années de pratique professionnelle ont été comme conseiller à la vie étudiante d’abord en tant qu’attaché politique à l’association étudiante et ensuite comme conseiller à la vie étudiante au Cégep de Sainte-Foy. Dans cette période, je travaillais beaucoup pour les volets mieux-être, prévention du suicide, intervention de crise, etc. Cette expérience m’a amené vers la direction de l’Association québécoise de la prévention du suicide puis à Centraide et maintenant à la mairie.
Vous avez parlé plus tôt des valeurs qui ont bercé votre enfance, qu'elles étaient ces valeurs?
B.M.: Le respect, le sens du communautaire, le sens du « nous », la résistance à la tentation de se penser plus grand que l’équipe ou le groupe ou de se voir plus grand que l’univers. Ma mère était une femme extraordinaire et les valeurs étaient ancrées comme principes et non comme des lois. Elle m’a éduqué en me disant que je pouvais faire fi de ces principes ou de la manière de les interpréter, mais en me rappelant pourquoi il y a des conséquences à se laisser guider par l’appât du gain, par l’avarice, par le narcissisme. Il y avait vraiment une idée de construire quelque chose de plus grand que soi, de participer à un tout. Dans un groupe, on participe. J’ai raconté souvent une anecdote concernant ma mère qui balayait les samares tombées des érables dans la rue et sur les trottoirs et le voisin venait la voir en lui disant : « Thérèse, ne fais pas ça, la ville va le faire » et ma mère lui répondait : « la ville, c’est moi! ». Elle disait aussi : « la communauté, c’est moi et elle est aussi grande que ce que je mets dedans. Je n’attends pas que les gens viennent me donner quelque chose, c’est à moi de donner. » Tous ces mouvements de générosité, d’engagement et de solidarité sont des valeurs qui me sont toujours restées. Même si j’en retirerais des bénéfices, je ne vois aucun intérêt dans ma vie à travailler uniquement pour mon enrichissement personnel. Je vois par contre de l’intérêt à travailler pour l’enrichissement collectif, c’est ce que je fais et ce que j’ai fait dans le passé.
Lorsque je vous ai connu, vous étiez encore à la direction de Centraide. Qu’est-ce qui vous a motivé à passer du domaine communautaire à la politique? Il me semble que le lien avec vos valeurs est plus facile à faire avec Centraide qu’avec le domaine politique.
B.M.: Le bien commun. En politique, il existe des leviers nous permettant d’agir pour le bien commun. Je souhaite travailler sur les inégalités sociales. À Centraide j’y travaillais et les impacts étaient directs sur ces inégalités mais j’avais l’impression qu’en politique, je pourrais aussi ajouter à cette lutte aux inégalités sociales. À cette profonde bataille que nous devrions tous faire, qu’on soit riche ou pauvre. À chaque fois qu’on les tolère, à chaque fois qu’on s’éloigne de l’autre et que les distances se prennent, on est tous perdants, même les personnes riches sont perdantes. Parce que si, pour vivre dans une villa, il faut installer des tessons de bouteilles sur sa clôture afin éviter que d’autres viennent nous agresser parce qu’on vit dans un monde où la capacité de s’extirper de sa condition est impossible et que tout ce qui reste, c’est s’en prendre à l’autre, c’est gagnant pour personne ni pour l’économie. Des travaux faits par les chercheurs Wilkinson et Pickett démontrent qu’on y perd tous, lorsque les inégalités augmentent. Si on veut vivre une vie dans laquelle nos enfants ont des chances, où ce n’est pas juste tributaire de notre classe sociale, mais qu’on a la possibilité de choisir qui on veut être, ça suppose qu’il y a des opportunités pour tous. Ça suppose qu’on rapproche la ligne de départ qui soit la même pour tous et non pas distancée parce que tu viens d’une famille plus pauvre, que tu vis dans un certain secteur de la ville, que tu es une femme, que tu es immigrant ou parce que tes parents ont un problème de santé mentale, si on veut vivre une vie heureuse, ça suppose de donner des chances à tous. En politique, il y a cette capacité d’agir sur des leviers. Il y a aussi des risques, vous en avez nommé d’ailleurs. Certains politiciens se sont perdus dans ces risques. Sans faire référence à qui que ce soit, certains finissent par s’aimer plus eux-mêmes plutôt que les raisons pour lesquelles ils le font. C’est le chant des sirènes en politique de se faire dire à quel point on est bon, que notre jeu est tellement grand ou que nous sommes si exceptionnels, mais c’est faux, on travaille pour quelque chose de plus grand que nous et c’est tout ce qui compte.
Quels sont les leviers que la mairie de Québec vous donne pour aller dans le sens de vos valeurs et pour donner de la chair à votre motivation?
B.M.: D’abord, le message. De porter le message, même si les gens peuvent penser que ce n’est pas concret, c’est très concret. Je me rends compte que le symbole du maire est très puissant dans la capacité d’amener les gens à réfléchir. Ceci ne veut pas dire que, parce que le maire demande de faire quelque chose, que les gens vont le faire. Mais inviter à la réflexion, d’amener au débat, amener les idées à s’entrechoquer pour qu’en ressorte quelque chose d’intéressant. Puis, il y a des leviers par rapport aux actions de la ville; quand on décide d’abolir les amendes de retard dans les bibliothèques, c’est une mesure très concrète qui vient témoigner de cette capacité qu’on a de réduire les freins à accéder à la culture et à la littérature aux gens plus démunis. Des mesures comme celle-là, il y en a plein. Développer le logement social, la mobilité, offrir une tarification sociale pour permettre aux gens plus démunis d’avoir accès au transport, à la mobilité pour occuper un emploi, ce sont là d’autres exemples de ce qu’on peut faire en politique qui a de l’influence dans la vie des gens. Créer des quartiers et des lieux inclusifs, créer un vivre ensemble qui n’échappe personne en chemin, créer un filet social dont les mailles sont très serrées, voilà d’autres exemples concrets à travers des mesures très pratiques qui peuvent faire toute la différence.
Vous êtes passé du milieu communautaire à la mairie à la suite d’une toute première mise en candidature. Selon vous, quelle perception les citoyens de la ville de Québec ont eue de vous pour vous choisir en tant que nouveau maire?
B.M.: Je pense que les gens ont accroché à cet anti-casting du politicien classique, de cette capacité de présenter une autre image et une autre façon de faire, l’humilité, de mettre le « nous » devant, de quitter le « je », d’avoir de l’audace, d’avoir des idées nouvelles, de faire avec courage, je crois que c’est ce qui a été retenu dans ce qu’on a pu faire en équipe et que l’équipe a pu présenter qui a pu faire une différence. Après ça, il ne faut pas se dorer la pilule et penser qu’on est des génies parce qu’on a gagné, il faut toujours garder l’humilité très proche. Il y a environ 850 voix qui nous séparent. Trop souvent, on a l’impression qu’on est brillant et extraordinaire quand on gagne et qu’on est pourri quand on perd. Il n’y a jamais de réussite facile; ce fut tout un chemin de Damas pour y arriver. Il n’y a jamais non plus d’échec définitif. Il y aurait eu 850 voix de moins et je n’aurais pas été une moins bonne personne. Si c’est vrai pour les échecs, c’est aussi vrai pour les victoires. Je n’ai pas envie de m’enorgueillir au point de penser que c’est extraordinaire, j’ai juste envie de livrer la marchandise à la hauteur de ce que l’on a besoin en tant que communauté et ne pas passer mon temps à me féliciter. Les gens m’ont demandé ce qu’allait être mon legs. Ce n’est pas important le legs du maire. Je ne veux pas savoir ce que moi, je vais laisser, c’est antinomique de ce pour quoi je le fais. Je veux savoir comme communauté où nous serons dans quatre ou huit ans, plus forts, plus solides, plus réunis les uns les autres.
Vous avez fondé le parti Québec Forte et fière, pourquoi ce nom?
B.M.: D’abord, un nom féminin. Un nom ambitieux, de courage, qui est presque un slogan. Au début, les gens ne comprenaient pas le nom de notre parti qui est, justement, presque un slogan mais nous voulions une mixité entre les deux, c’est ce que nous sommes, c’est notre parti et notre parti, c’est ce qu’on vous présente comme vision. C’est de l’audace et du courage mais c’est aussi faire appel à ce que nous sommes, de croire que rien n’est impossible grâce à une communauté de gens qui ont envie de mettre la main à la pâte, qui sont brillants, qui ont du génie. Il y a tout à Québec pour réussir. Voilà ce que ça veut dire!
Comment allez-vous faire pour rendre Québec forte et fière? Aussi, avez-vous des mandats prioritaires et incontournables?
B.M.: Lutter contre les inégalités, améliorer notre empreinte environnementale, développer une économie circulaire, verte et adaptée aux prochaines décennies. Être capable de créer une ville dont les gens seront fiers, belle, dans les quartiers, une ville réunie. Selon moi, la fusion municipale mérite encore d’être complétée. Une ville dont les gens ont le droit d’être fiers de vivre à Charlesbourg ou Beauport, par exemple, et en même temps d’appartenir à Québec. Une ville où les personnes se sentent parties prenantes, écoutées et contributives. Si on avait ça, la suite représenterait encore des défis, mais les gens sauront qu’ils sont en posture de nous aider à faire face à ces défis.
Vous souhaitez redonner la ville aux citoyens et qu’ils soient fiers que leur ville soit forte, de leur donner ce dont ils ont besoin, est-ce exact?
B.M.: Ce dont ils ont besoin et comment ils peuvent y contribuer, c’est une posture proactive. À nous tous d’en faire une ville extraordinaire sur cette terre.
Le prochain numéro de notre revue Spiritualitésanté dans lequel sera présentée votre entrevue portera justement sur l’écologie. Comment voyez-vous votre rôle plus spécifiquement en lien avec les questions d’écologie et d’environnement pour la ville de Québec?
B.M.: Il y a déjà beaucoup de bonnes idées mais mon rôle est d’avoir l’audace et le courage de les mettre en place et de vivre avec les conséquences. Prenons par exemple la question des déchets. Un québécois moyen produit 700 kilos de déchets par année. On peut dire que la ville peut faire des choses; on a un incinérateur qui est plus écologique que jamais, une usine de bio méthanisation qui s’en vient qui pourra permettre de réutiliser les produits de table, entre autres. Il n’en demeure pas moins qu’il faudra faire des choix où il est possible que dans notre collecte, l’utilisateur-payeur arrive car si le citoyen n’accepte pas de réduire ses déchets, faudra trouver d’autres façons sinon, on n’y arrivera pas à 700 kilos par année par personne, notre terre ne nous survivra pas et personne ne souhaite ça. Il y aura des choix courageux à faire avec certaines conséquences mais si on veut passer au travers les changements climatiques, ça suppose que nos vies vont changer et nous aurons des conséquences. Il faudra adapter nos comportements. Ça suppose aussi d’avoir l’audace et l’innovation et de regarder ce qui se fait ailleurs puis de l’importer et de se questionner à savoir si on fait les meilleures choses. La planète ne peut pas attendre, on doit agir plus rapidement, de façon plus audacieuse et courageuse que jamais.
On sent une fougue et un dynamisme dans votre discours. Où puisez-vous cette motivation?
B.M.: Elle vient de cette profonde concordance avec le pourquoi je fais les choses. C’est très clair pour moi que j’ai des opportunités, des chances, des talents que je peux mettre au service de la communauté qui peuvent faire une différence et j’y crois. Je n’ai pas tous les talents et j’ai bien sûr des défauts, mais j’ai des capacités qui peuvent rassembler des gens et faire une différence et ça me nourrit beaucoup. De penser que dans quatre ans, si on est capable d’être aussi bons qu’on devait l’être, la ville sera à la même place géographiquement, mais si on est bons, on peut faire une différence pour avoir un impact plus grand sur l’environnement, réduire les inégalités sociales, améliorer la mobilité pour tous. Notre travail est significatif. Entre un bon et un excellent travail, ça fait une différence pour le citoyen. J’y crois et c’est là qu’il faut mettre toutes ses énergies. C’est ce que j’ai envie de faire et il y a là une concordance très claire.
Une cohérence aussi avec ce que vous êtes et l’éducation que vous avez reçue, j’imagine?
B.M.: Oui, ma mère a été d’une grande influence. Elle était une femme forte, qui a vécu dans une autre époque, qui avait une brillante carrière à la banque et qui a fait comme bien d’autres femmes, c’est-à-dire laisser son travail pour s’occuper de son rejeton! Elle avait une intelligence redoutable et une force dont on ne peut qu’admirer les capacités.
Vous avez parlé de l’Église, lieu où vous avez appris à communiquer mais que vous n’aimiez pas particulièrement fréquenter. Si vous aviez à définir ce qui vous habite sur le plan spirituel, quels seraient vos mots?
B.M.: Je ne sais pas ce qui nous attend après, mais il me semble que nous avons le devoir de laisser la place dans un meilleur état que celui qu’on nous a offert et qu’on a le devoir et le plaisir de le faire avec des gens, de créer quelque chose dans le commun et qui méritera d’être souligné par ses résultats. Pour moi, le terme spirituel réside dans le « faire avec » et d’atteindre un certain niveau de dépassement de soi quand une équipe travaille vraiment ensemble. Pour moi il y a quelque chose de spirituel dans l’humain qui est capable de transcender sa condition, son état, son point de départ avec d’autres, c’est miraculeux et immense. Malgré nos limitations, d’être capable ensemble de déployer des ailes plus grandes que ce qu’on aurait pu imaginer, pour moi, ça relève de la transcendance de la femme ou de l’homme.
On entend le philosophe derrière vos propos et l’héritage que votre mère vous a laissé, est-elle encore en vie?
B.M.: Malheureusement non. Elle a souffert d’Alzheimer durant six ans et je l’ai accompagnée de 2007 à 2013. Ça a été une expérience spirituelle hors du commun. On est beaucoup éduqué par le volet économique; même dans notre vie personnelle, on cherche la rentabilité jusque dans nos relations. Est-ce qu’une relation qui stagne est une relation à laquelle il faudrait mettre fin? Si elle stagne, elle n’a plus de « profit » ou de « croissance ». Avec l’Alzheimer, la relation ne fait pas que stagner, elle diminue. D’une rencontre à l’autre, ou presque, c’est une étape de plus. En six ans, la dégradation fut énorme. On passe d’une personne qui est importante pour nous, qui est reliée à notre passé, qui a été très significative dans mon cas, une femme fière, qui ne fait que péricliter dans sa condition et pour laquelle la relation ne fait qu’en prendre pour son rhume. On se demande alors à quoi sert cette relation? Quelle est la plus valu? À quoi ça sert de visiter sa mère si elle ne nous reconnaît plus? Il n’y a plus de dialogue, il n’y a qu’un monologue, mais on maintient le cap et on continue même si elle ne se souvient plus du prénom, même si on pleure toutes ses larmes en revenant à la maison, on apprend que la relation humaine, ce n’est pas de la rentabilité. On l’avait déjà appris, mais là on le vit. Si on accepte de s’ouvrir le cœur et l’esprit, il y a quelque chose qui dépasse cette première couche mercantile et on goûte un peu plus à l’humanité. Même dans sa maladie, ma mère m’a appris cela. Au dernier jour de sa vie, je suis arrivé alors qu’elle était déjà décédée, mais lorsque je l’ai vue allongée, alors qu’elle avait été grugée petit à petit par une maladie qui avait pris tout l’espace de son corps et sa tête, je retrouvais ma mère devant moi. Oui, elle était morte, mais la maladie était partie, il y avait que ma mère. Il y avait quand même quelque chose de beau de voir ma mère sans la maladie.