Par Sylvie Veilleux - 1er avril 2017
Après avoir décrit sommairement ce qu’est la dépendance, l’auteure porte un regard sur l’impact souvent mésestimé de la consommation sur l’entourage. Elle traite particulièrement de l’importante question que se posent les proches : comment aider?
La dépendance constitue un problème d’autant plus inquiétant parce qu’en plus d’affecter l’individu consommateur ou joueur, elle risque également de perturber l’ensemble de la famille. La personne consommatrice et les membres de son entourage peuvent faire face à des problèmes qui affectent leur vie de différentes manières, tant aux plans affectif, psychologique, social que financier et légal; plusieurs sphères de leur vie s’en trouvent négligées, la consommation prenant toute la place.
Dans un effort pour survivre émotionnellement, les personnes adoptent, à leur insu, des comportements nuisibles, ce qui se répercute sur leur bien-être personnel et relationnel. Il n’est pas rare que la demande d’aide d’un individu ou d’un membre de son entourage soit empreinte de désespoir, voire d’impuissance sous-jacente à un sentiment d’urgence.
Qu’entend-on par « dépendance »?
Face aux événements de la vie, qu’ils soient heureux ou malheureux, nous avons tous notre manière de les aborder. Certains moyens sont plus adaptés, d’autres plus destructeurs, par exemple, manger de façon compulsive, faire du sport à outrance au risque de mettre sa santé en péril, consommer de façon abusive de l’alcool, des médicaments, des drogues, jouer de façon excessive à des jeux de hasard et d’argent ou utiliser Internet de façon exagérée (cyberdépendance).
Il y a dépendance lorsqu’une activité ou une habitude détourne l’attention de l’individu des autres secteurs de sa vie et que celui-ci ne peut plus trouver satisfaction dans aucun autre domaine (1). Ses pensées, ses sentiments, ses activités gravitent à tel point autour de cette habitude qu’il lui est très difficile de cesser d’y penser, d’en parler et de s’en procurer. Le « moyen » devient « source supplémentaire de problèmes ». La personne est alors piégée, ce qui l’amène à répéter constamment les mêmes actions. C’est à ce moment qu’elle se retrouve dans un cycle de dépendance – ou cycle de l’assuétude, c’est-à-dire le processus par lequel certains individus en viennent à développer une relation malsaine par rapport à leur objet de dépendance (2). Ce n’est vraiment pas par manque de volonté.
Qu’est-ce qui amène un individu à consommer?
La curiosité, le sentiment d’appartenance à un groupe d’amis, la recherche de ressentis intenses ou le défi de l’autorité sont autant de raisons qui amènent un individu à consommer. Par la suite, la consommation peut représenter un moment privilégié, important et souhaité, mais la personne demeure en contrôle de la nature, des quantités et des fréquences. Aussi, tous ne développeront pas nécessairement une dépendance.
Par contre, si la consommation sert à meubler l’oisiveté, à fuir les problèmes, à survivre à un passé difficilement assimilable ou s’utilise à titre d’automédication, permet d’engourdir un malaise, sinon un mal de vivre déjà existant, il y a risque de dépendance. Le « rôle » de la consommation diffère alors; la consommation peut permettre de gérer certains symptômes ou affects, comme la colère, l’agressivité, aider à améliorer l’estime de soi de l’individu, diminuer un sentiment de honte ou de culpabilité, ou améliorer son sentiment d’identité, etc. (3).
Qu’en est-il de la famille et de ses membres?
On peut comparer la famille à un mobile, où chaque partie est reliée à une autre et où tout changement chez l’une fera se mouvoir l’ensemble. La famille est composée de chacun de ses membres et un événement dans une famille a des répercussions sur tous, exemple : le changement d’horaire de travail d’un parent demande une réorganisation pour les repas, le retour de l’école des petits; le mobile bouge. Il en est de même avec la consommation de substances psychoactives, le problème de jeu pathologique ou de cyberdépendance; c’est un événement majeur qui perturbe la vie de la famille ainsi que chacun de ses membres.
- Pour chaque personne présentant des problèmes d’alcool, dix à vingt autres en sont affectées et cinq à dix le sont dans l’entourage d’un joueur (1) (4).
- Dans un document publié en 2005, la Fédération québécoise des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et toxicomanes indiquait que 39,6 % des Québécois affirment avoir été affectés par la consommation d’alcool de leurs proches (5).
- Les membres de l’entourage sont particulièrement à risque de vivre de la détresse psychologique, des dépressions, des traumatismes en général, des problèmes financiers (4) (6).
Et les membres de la famille s’isolent de plus en plus, parce qu’en abordant le problème de consommation du conjoint ou de l’enfant auprès de leurs amis ou de leur famille, ils pourraient entendre à nouveau des suggestions comme « Coupe donc les ponts » ou « Mets-le donc à la porte ». Ce genre de conseil est facile à donner en dehors du lien affectif.
En fait, chacun se retrouve devant une problématique non choisie et non désirée :
- L’enfant ne s’était pas projeté dans un avenir où il risquait de s’enliser avec la consommation dont il est devenu dépendant.
- Le conjoint, malgré qu’il ait pu connaître la présence de consommation de son partenaire au début de leur relation, ne pouvait pas mesurer l’ampleur de sa dépendance. Parmi les individus consultant pour un problème d’abus de substances psychoactives, 32 à 49 % rapportent vivre des conflits conjugaux (7). Et si la conjointe est mère, elle portera les responsabilités de l’autre parent afin d’éviter le plus possible les conséquences à ses enfants.
- Le parent qui a vu grandir son enfant n’a pas prévu qu’un jour il serait confronté à un problème de consommation et en être témoin ne faisait pas partie de son projet de vie familiale. Les solutions antérieures ne fonctionnent plus, elles sont à inventer. Et le doute s’installe : « Que dire ou taire? Ai-je le droit d’exiger son respect? Il a 18 ans, je n’ai plus rien à faire parce qu’il est majeur. » Pour la majorité, le mot « impuissance » décrit bien leur état d’âme.
Ce qu’il faut retenir, c’est que chacun a fait ce qu’il a pu avec les moyens qu’il a eus.
La vraie question : « Comment aider? »
À tout moment, la personne dépendante peut remettre en question ses consommations et son mode de vie subséquent. Et cette réflexion lui appartient. L’individu consommateur aura à décider s’il s’abstient de toute consommation ou s’il choisit d’en reprendre le contrôle en diminuant les quantités et les fréquences. Il devra mettre en place des règles strictes pour y parvenir. Certains y arriveront seuls, d’autres auront besoin d’une aide extérieure pour retrouver la maîtrise de leur vie.
Il en est de même pour les membres de l’entourage. On sait qu’ils sont des partenaires incontournables du réseau social des personnes dépendantes : ils favorisent le maintien et l’intégration sociale des personnes dépendantes dans le milieu naturel et la persévérance dans le traitement (8). La personne dépendante n’est donc plus l’unique cible de l’intervention; on peut considérer les membres de l’entourage comme des participants actifs dans un processus de changement des personnes dépendantes (9). Malgré une problématique de dépendance qui ne leur appartient pas, il est possible pour les membres de l’entourage d’aider la personne qui consomme tout en évitant un épuisement ou un désengagement auprès de celle-ci.
Plusieurs espèrent un miracle, recherchent un « truc magique » ou entretiennent à tort l’idée que si l’autre changeait, le problème se règlerait : « Si mon conjoint ou mon enfant cessait de consommer, je vivrais mieux, je serais plus heureux. » Cette croyance est illusoire et inefficace; personne ne peut transformer l’autre; le pouvoir de changer est sur soi-même (10). Alors, comment réagir devant une situation qui ne nous convient plus?
Résoudre les difficultés occasionnées par la consommation de l’enfant ou du conjoint prive ces derniers d’une prise de conscience essentielle concernant leur mode de vie axée sur la consommation.
Ne rien dire devant les comportements inacceptables, pour moi, comme individu et à titre de conjoint ou de parent, laisse peut-être un message contraire indiquant que nous acceptons ces comportements. Tôt ou tard, des répercussions personnelles et relationnelles apparaîtront de ce silence et une réaction émotive disproportionnée risque de survenir. Puis la culpabilité s’installe, on se tait à nouveau et le cycle recommence. À notre insu, nous participons au maintien du problème et s’en suivront des impacts négatifs pour nous-mêmes, pour la personne consommatrice et sur la relation que nous entretenons avec elle.
D’où l’importance de s’observer dans notre rapport avec l’individu qui consomme. Cela permet le recul nécessaire afin d’identifier nos réactions spontanées et de s’interroger sur leurs conséquences. Ainsi nous sommes plus en mesure de changer ce qui nous revient et de rétablir un mode de vie axé sur nos valeurs personnelles, conjugales et familiales.
Utiliser des habiletés efficaces de communication et de résolution de problèmes, établir ses limites, exiger le respect, refuser l’intolérable (les vols, la violence physique, verbale ou psychologique, le harcèlement, etc.), voilà autant de façons différentes de réagir, de s’aider et d’aider. Et tout ceci permet de mieux vivre les situations non choisies, non désirées et favorise le maintien, voire l’amélioration de la relation entre les individus.
Chaque individu a ses ressources et ses capacités de résilience, mais la consommation les amène souvent à en douter. Malgré les solutions inefficaces passées, les écarts face aux objectifs de contrôle ou de l’abstinence, la personne consommatrice, le conjoint ou le parent ont besoin d’apprendre à retrouver l’espoir en leurs capacités, leurs compétences, agir différemment pour recouvrer le pouvoir sur leur bien-être personnel et redevenir l’artisan de leur propre bonheur.
Et si vous vous sentez dépassé par la situation, que ce soit à titre de personne dépendante ou de membre de son entourage, sachez que des services sont offerts gratuitement et de façon confidentielle dans tout le réseau de la santé et des services sociaux du Québec.
Oser demander de l’aide, c’est une force en soi. <
Bibliographie
1 Boivin, M.D., Beaudry, M., Violette, F., Deslandes, B., Gagnon, S. Programme s’adressant aux conjointes de personnes ayant un problème de toxicomanie. Manuel des animateurs, Département de toxicomanie, Hôpital Saint-François d’Assise, Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard, École de Service social, Université Laval, 1995.
2 Quirion, B., Plourde, C., « Les nouvelles tendances de l’intervention en dépendance (Partie 1) », Drogues, santé et société, volume 8, numéro 2, décembre 2009.
3 Nadeau, L., Landry, M., Les troubles concomitants de toxicomanie et de santé mentale : résultats de recherches au Québec et réflexions cliniques, Presses de l’Université Laval, juillet 2012.
4 Desrosiers P., Jacques C., Les services en jeu pathologique dans les centres de réadaptation en dépendance, guide de bonnes pratiques et offre de services de base. Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ACRDQ), 2009.
5 Tremblay, J. (et al). Les centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres toxicomanes. Chefs de file des services en toxicomanie et jeu pathologique, Fédération québécoise de centres de réadaptation pour personnes alcooliques et toxicomanes (FQCRPAT), 2005.
6 Tremblay, J., Bertrand, K., Ménard, J.-M. Implication des membres de l’entourage dans la réadaptation des personnes alcooliques et toxicomanes Gouvernement du Québec, Comité permanent de lutte à la toxicomanie (CPLT), 2005.
7 Tremblay, J. Bouchard, G. Bertrand, K. « Vie conjugale et abus de substances : interrelations et traitements », Revue canadienne de counseling, vol. 43, (4), 2009.
8 Cuillerier, G., Dufour, L., Gascon, E., L’entourage, partenaire incontournable pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes dépendantes, congrès Rond-Point 2010, « Dépendances : enjeux, problèmes et pratiques » Montréal, mai 2010.
9 Mongrain, L. Les services à l’entourage des personnes dépendantes, Guide pratique et offre de service de base, Association des centres de réadaptation en dépendance, 2011.
10 Veilleux, S. Ateliers pour les parents d’enfants ayant un problème de consommation de substances psychoactives ou présentant une problématique de jeu pathologique, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale, 2015.
Sylvie Veilleux est infirmière psychothérapeute au Centre de réadaptation en dépendance de Québec du Centre intégré universitaire en santé et services sociaux de la Capitale-Nationale. Elle travaille en dépendance depuis 1978 et elle a développé une expertise auprès des membres de l’entourage des personnes dépendantes. Les aider représente pour Sylvie Veilleux un privilège parce que ces personnes lui donnent des exemples de courage, d’engagement, de persévérance, d’humilité, et aussi d’amour.