Par Aude Caplette-Gingras, Karen Dumas et Marie-Élaine Leduc – 1er août 2022
Cet article aborde l’importance d’apprendre à écouter ses propres signes et symptômes de stress et de détresse et à faire preuve d’autocompassion afin de favoriser une meilleure posture d’écoute de l’autre. La dernière section de l’article réfère à certaines stratégies nous permettant d’utiliser nos capacités d’écoute pour mieux soutenir autrui.
Prendre soin de soi pour prendre soin des autres
En tant que soignant, collègue bienveillant ou proche aidant, il peut paraitre naturel de mettre nos besoins de côté afin de nous concentrer sur le soutien que nous voulons offrir à l’autre. Cette tendance à l’abnégation de soi nous met cependant à risque de fatigue, d’épuisement et de détresse. Lorsqu’on prend l’avion, une des consignes de sécurité est, en cas de dépressurisation, de mettre son propre masque à oxygène avant d’aider les personnes qui nous accompagnent à mettre le leur, y compris les enfants. Pourquoi? Tout simplement parce que si on manque d’oxygène et qu’on perd conscience, on ne pourra plus aider personne. Ce principe est facile à comprendre dans le cas précis du masque à oxygène. Pourtant, il semble difficile pour beaucoup de gens de l’appliquer au quotidien. Prendre soin de soi, se prioriser est souvent associé à un sentiment de culpabilité ou d’égoïsme. C’est pourtant indispensable, particulièrement lorsque notre santé psychologique est notre outil de travail.
Savoir s’écouter: reconnaître ses réactions au stress ou de détresse
Le stress fait partie de la vie depuis le début de l’humanité. Déjà, l’homme préhistorique vivait un stress énorme lorsque, confronté à un mammouth, il devait le fuir ou tenter de le chasser. Le stress n’est pas une pathologie, il est même essentiel à la survie de l’humanité. Par définition, le stress réfère à l’ensemble des réactions physiologiques ou psychologiques provoquées par les contraintes de l’environnement, autrement dit les stresseurs. C’est donc une réponse naturelle et fonctionnelle à un danger, réel ou perçu. En général, les symptômes de stress se feront sentir lorsque nous percevons que les ressources dont nous disposons sont insuffisantes pour faire face au danger, comme l’homme seul contre le mammouth. Dans nos sociétés contemporaines, les sources de stress sont plus variées, mais la « recette » est toujours la même : C I N É.
CONTRÔLE FAIBLE
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Vous sentez que vous n’avez aucun ou très peu de contrôle sur la situation.
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IMPRÉVISIBILITÉ
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Quelque chose de complètement inattendu se produit ou encore, vous ne pouvez pas savoir
à l’avance ce qui va se produire.
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NOUVEAUTÉ
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Quelque chose de nouveau que vous n’avez jamais expérimenté se produit.
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ÉGO MENACÉ
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Vos compétences et votre égo sont mis à l’épreuve. On doute de vos capacités.
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Source : Centre d’étude sur le stress humain (stresshumain.ca)
La présence d’un seul de ces facteurs est généralement suffisante pour déclencher une réaction de stress. Celle-ci peut se manifester de différentes façons et il est essentiel d’apprendre à écouter nos signaux pour mettre rapidement en place des stratégies d’autosoin (Brillon, 2020).
Réactions émotionnelles
J’ai vraiment peur de ce que l’avenir me réserve, ça m’angoisse.
Plusieurs émotions peuvent être ressenties lorsque l’on vit du stress: tristesse, peur, colère, culpabilité, découragement… Savoir identifier précisément nos émotions demande un temps d’arrêt et permet de mieux comprendre nos besoins. Si je suis triste, effrayé ou en colère, j’aurai besoin de prendre soin de moi de façon différente.
Réactions cognitives
Je n’arrive plus à me concentrer, on dirait que mon cerveau fonctionne au ralenti.
Le stress peut affecter nos capacités cognitives: manque de concentration, oublis plus fréquents, difficulté à prendre des décisions ou à faire plusieurs tâches en même temps. Le stress influence aussi nos pensées et nos façons d’interpréter une situation: avoir tendance à s’imaginer des scénarios catastrophiques, à dramatiser les situations ou à porter un jugement sévère sur soi-même ou autrui, en sont de bons exemples. Apprendre à identifier notre discours mental, reconnaître qu’il s’agit simplement de pensées peut aider à prendre du recul et à affronter la situation de manière plus objective.
Réactions physiques
Je me sens complètement vidé, je n’ai plus d’énergie pour faire quoi que ce soit.
Tel que mentionné, le stress est d’abord une réaction physiologique du corps: des hormones du stress sont sécrétées par notre cerveau qui identifie, à tort ou à raison, un danger potentiel. Il est donc habituel de ressentir des symptômes physiques lors d’une période de stress: respiration rapide, maux de ventre, tensions musculaires, fatigue... Il est important d’apprendre à écouter ce que notre corps a à nous dire, il est une mine d’informations essentielles!
Réactions comportementales
Je n’ai plus envie de voir personne. Je préfère rester seul chez moi et prendre une bière.
La détresse, particulièrement lorsqu’elle se chronicise dans le temps, sera souvent accompagnée de changements dans notre attitude : sautes d’humeur, agressivité, tendance à s’isoler, augmentation de la consommation… Apprenez à identifier ces changements de comportements, il s’agit potentiellement de signaux d’alarme!
Déterminer notre état actuel
Par l’écoute de soi, nous pouvons améliorer notre capacité à identifier nos signes de fragilité inquiétants. Où est-ce que je me situe sur le plan de ma santé psychologique? Suis-je de bonne humeur, capable d’humour, active? Ou au contraire, est-ce que je me sens stressé, fatigué, dépassé?
Comme soignant ou collègue bienveillant, la capacité à écouter nos signaux émotionnels, cognitifs, physiques et comportementaux nous permettra de mieux situer notre état et ainsi de mettre nos limites quant à notre capacité à prendre soin des autres en ce moment. Bref, prendre le temps de mettre mon masque à oxygène et de respirer un bon moment avant de me relever les manches pour apporter mon aide aux autres. Faire preuve d’autocompassion favorise une meilleure écoute de son état et de ses besoins.
L’autocompassion
« La compassion envers soi, demande les mêmes qualités que celle adressée à autrui. En premier lieu, elle implique que l’on s’arrête un moment pour ressentir notre propre souffrance. Comment être touché par sa propre douleur si l’on ne commence pas par admettre son existence? Bien sûr, à certains moments, celle-ci est tellement évidente que l’on est incapable de penser à autre chose. Pourtant, dans de très nombreux cas, on refuse simplement de s’avouer à quel point on a mal. Faire bonne figure fait partie de la tradition occidentale et reste un impératif sociétal fort. » (Neff, 2011) En effet, notre culture met l’accent sur l’importance de se montrer bienveillant à l’égard de nos amis, de nos proches, de nos usagers et même de nos voisins. Mais rarement envers soi-même. Face à nos propres erreurs ou échecs, nous sommes plus portés à nous donner un coup sur la tête qu’à nous réconforter.
L’autocompassion réunit trois attitudes essentielles. D’abord, pratiquer la pleine conscience favorise une posture d’écoute optimale : « Envisager chaque expérience avec une attention mesurée, sans exagérer sa souffrance ni l’ignorer. » (Neff, 2011) Elle nécessite de porter toute son attention sur le moment présent, sans filtre, sans jugement et sans attente. Cette pratique peut dévoiler ce que nous ressentons à l’intérieur, comme nos sentiments et nos pensées par exemple. Elle peut aider à reconnaître ce qui nous entoure, calmement, ce qui peut ensuite avoir un impact sur la manière dont nous réagissons à des situations stressantes. C’est une manière d’écouter ce qui est en nous, au moment présent.
La deuxième attitude essentielle est de se considérer avec bienveillance. « Soyez bon envers vous-même autant que vous l’êtes envers les autres ». Adopter une attitude bienveillante envers soi implique d’arrêter de se juger constamment et de choisir de ne pas accorder d’importance aux remarques intérieures désobligeantes que nous considérons comme normales. Cela demande de faire preuve d’indulgence envers soi afin de mettre fin à cette guerre intérieure. « C’est vraiment difficile en ce moment. Comment puis-je prendre soin de moi et m’apporter du réconfort? »
Finalement, reconnaître son humanité commune peut aider à diminuer le sentiment de solitude et à renforcer la solidarité. Se rappeler que la souffrance et l’imperfection font partie de l’expérience humaine partagée et que nous faisons tous de notre mieux pour apporter de la douceur et de la bienveillance à notre discours intérieur. « Tout le monde souffre un jour ou l’autre ».
L’ouverture à l’autre
À partir du moment où nous avons bien intégré nos habiletés à être à l’écoute de soi, à prendre soin de nous-mêmes, nous pouvons élargir notre ouverture à l’autre avec une posture beaucoup plus assumée et solide.
Dans nos relations avec autrui, plusieurs aspects entrent en ligne de compte afin de créer une dynamique relationnelle, que nous analysons graduellement à travers nos échanges spontanés ou structurés. Que ce soit avec nos proches, nos collègues ou nos usagers, nous utilisons notre capacité d’analyse stimulée par nos observations ou constats. Cette analyse influencera notre perception de la situation ainsi que nos actions et propos envers l’autre.
Notre relation avec l’autre débute dès que l’on pose le regard sur lui et que nous observons son langage non verbal : comment l’autre bouge-t-il ou ce que son visage exprime. Par la suite, la façon de répondre à la prise de contact pourra nous informer de son humeur et de son ouverture à échanger avec nous. Ces observations nous guideront sur l’approche à utiliser pour favoriser la création d’un lien de confiance, essentiel à une démarche d’aide et de soutien.
Facteurs de protection et de vulnérabilité
Tout comme lorsque nous tentons d’être à l’écoute de nous-mêmes, être à l’écoute de l’autre nécessite de prendre en considération des facteurs de protection et de vulnérabilité. Ces facteurs sont ce qui nous protège lors des moments difficiles, ou au contraire, nous rendent plus vulnérables. Par exemple, une personne qui a une bonne estime de soi, entretient des relations saines et possède une bonne hygiène de vie aura davantage de facilité à s’adapter aux épreuves de la vie qu’une personne avec un faible réseau social, des antécédents récurrents de détresse et l’impression d’être un fardeau pour les autres. Prendre acte de ces aspects nous permet, comme personne aidante, d’adapter notre posture de soutien.
Ici et maintenant
L’écoute de l’autre doit également se circonscrire dans l’ici et maintenant, afin de déterminer comment se porte la personne en ce moment. Notre échange sur sa situation nous permet de valider son humeur, son état de bien-être global, les personnes autour d’elle, ce qui la préoccupe et ce qui l’anime.
Lors de notre approche à l’autre, il est préférable de favoriser un échange sur la situation actuelle, afin de cibler les enjeux sur lesquels nous pourrons apporter un changement. Il est possible d’offrir une écoute sur les situations passées, mais il faut être vigilant pour ne pas verser dans le piège des ruminations passives, qui génèrent davantage de tristesse ou de colère. Les blessures du passé nécessitent souvent une intervention spécialisée, dans la mesure où la personne possède l’introspection requise.
Valider nos perceptions
Lorsque nous accompagnons nos proches dans l’expression de leur vécu et de leurs émotions, nous sommes influencés par nos propres valeurs et perceptions. Malgré notre qualité d’écoute, il arrive que certains aspects soient interprétés à tort. Il est primordial de valider notre compréhension de ce qui nous est confié, en toute simplicité. Cette démarche apportera des clarifications. Dans la confrontation de nos valeurs, mieux vaut favoriser l’authenticité et l’accueil de l’autre. Il n’est pas nécessaire d’être au diapason avec l’autre, mais il peut être utile d’accueillir nos différences et de partager notre propre vécu, par dévoilement de soi.
Aider l’autre à s’entendre, à croire en lui
Notre constat est parfois que l’autre n’arrive pas à s’écouter, à s’entendre. Notre rôle sera de le guider à écouter sa petite voix, celle qui le dirige vers son bien-être. Dans les moments difficiles et de doute, nous avons besoin de périodes de repos, de ressourcement. Lorsque nous sommes submergés par nos pensées, il est difficile de trouver un espace de paix. Notre rôle peut être d’accompagner l’autre à identifier ses activités d’apaisement. Ce repos permettra de créer une disponibilité à s’entendre et à reprendre un contrôle sur sa situation. Guider l’autre dans la conscientisation des pensées dévalorisantes, culpabilisantes et dures envers lui-même. Leur impact est destructeur et annihile la motivation d’action. Encourager notre proche à identifier ses forces, à prendre conscience des tempêtes qu’il a traversées avec courage. Quels sont les apprentissages qu’il a faits lors de ces moments difficiles? Quel héritage l’habite aujourd’hui et maximise sa capacité à faire face à la situation présente?
Créer l’espoir
L’humain a besoin de se projeter dans l’avenir et d’avoir des projets. En situation de vulnérabilité, cela peut être générateur d’inquiétudes, mais favoriser l’adaptation. Il peut être utile de rassurer l’autre sur notre présence à ses côtés face à la situation actuelle, sur notre disponibilité. Lui rappeler que des épreuves inhérentes au passage de la vie favorisent notre cheminement vers des moments plus paisibles. Les crises ne durent pas: elles sont éprouvantes, mais passagères. Elles nécessitent l’utilisation de forces parfois insoupçonnées et enseignent l’importance d’un plus grand respect de nous-mêmes et d’une plus grande bienveillance à notre égard.
Comme soutien à l’autre, notre rôle a tout de même ses limites, dont la limite de notre implication et de notre disponibilité. La relation d’aide entre pairs, entre proches, doit demeurer saine et équitable. Gardez en tête que des ressources d’aide spécialisée existent et qu’elles sont parfois requises pour un cheminement plus complexe. Nous vous encourageons à guider votre proche vers ces ressources pour favoriser l’atteinte d’un bien-être soutenu.
Références
Brillon, P. Entretenir sa vitalité : Guide pour prévenir la fatigue de compassion et la détresse professionnelle. Les éditions de l’homme, 2020.
Neff, K. S’aimer, Comment se réconcilier avec soi-même. Belfond, 2011.
Aude Caplette-Gingras est psychologue au Centre des maladies du sein de l’Hôpital du St-Sacrement et chercheure clinicienne associée au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. Elle est aussi agente de développement des pratiques professionnelles en psychologie, neuropsychologie, sexologie et éducation spécialisée au CHU de Québec – Université Laval. Elle fait également partie de l’équipe de soutien psychosocial aux Veilleurs.
Karen Dumas est travailleuse sociale au CHU de Québec – Université Laval. Elle a travaillé dans plusieurs secteurs de la santé physique et mentale. Elle a développé une expertise en intervention de crise suite à une pratique en soins critiques. Formatrice et superviseure de stage, elle poursuit son implication afin de mieux outiller les soignants dans l’exercice de leur rôle. Elle est collaboratrice au projet des Veilleurs et membre de l’équipe de soutien psychosocial.
Marie-Élaine Leduc est travailleuse sociale et elle a exercé son métier dans le CHU de Québec – Université Laval durant les 29 dernières années, et vient tout juste de prendre sa retraite. Elle a œuvré principalement dans le domaine de la santé de la femme, elle a été coordonnatrice professionnelle pour les travailleurs sociaux du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL). Formatrice pour l’ensemble du personnel du CHU de Québec – Université Laval, elle offrait des formations en lien avec la relation d’aide et l’autocompassion. Jusqu’à tout dernièrement, elle a été collaboratrice au projet des Veilleurs et membre de l’équipe de soutien psychosocial.