Recherche clinique en néonatalogie : les prématurés bénéficieraient-ils de fortes doses d’oméga-3?

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Moby Dick, c’est bien sûr la célèbre baleine du roman éponyme d’Herman Melville, mais c’est aussi le nom d’un essai clinique visant à déterminer si de fortes doses d’oméga-3 pourraient favoriser le développement pulmonaire et neurologique des bébés prématurés.

Cet essai1 contrôlé et randomisé, dirigé par la Dre Isabelle Marc, pédiatre, épidémiologiste et chercheuse spécialisée dans l’évaluation des impacts des interventions non pharmacologiques sur la croissance et le neurodéveloppement de l’enfant, visait à la base à étudier l’effet de la supplémentation maternelle en oméga-3 sur le taux de DHA2 dans le lait maternel et sur la dysplasie bronchopulmonaire, une maladie qui touche environ 45 % des grands prématurés (29 semaines et moins).

Avec une cohorte de 528 bébés prématurés recrutés dans 16 centres hospitaliers à travers le Canada, l’étude s’est déroulée pendant deux ans. « Le DHA, comme plusieurs acides gras, participe au contrôle de l’inflammation, et il a été démontré qu’il serait possiblement associé à un moindre taux de dysplasie bronchopulmonaire chez le grand prématuré et à une amélioration de la structure du poumon chez l’animal. Cependant, au moment de l’analyse intérimaire, mauvaise surprise : au lieu d’une amélioration, c’est un effet potentiellement délétère qui a été constaté », explique la Dre Marc.

Devant ce résultat, publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA)3, le recrutement a été arrêté, mais le suivi des bébés s’est poursuivi… et les questions se sont multipliées : si les effets n’ont pas été bénéfiques, tel qu’attendu, est-ce en raison de la dose, du moment de la supplémentation, de la population? Et si, comme l’a démontré une étude australienne qui s’est déroulée pendant la même période que MOBYDIck, les effets sont positifs pour le développement du cerveau, mais négatifs pour les poumons, que doit-on faire?
 

Un nouveau volet à explorer

C’est à cette époque que la Dre Mireille Guillot, pédiatre, néonatalogiste surspécialisée en neurologie néonatale et clinicienne-chercheuse au CHU de Québec-Université Laval, a intégré l’essai afin d’étudier les effets du DHA sur le neurodéveloppement du prématuré entre 18-22 mois (âge corrigé4) et cinq ans. 

« Les oméga-3 sont notamment impliqués dans le développement du cerveau, mais les résultats, qui ont été publiés dans Pediatrics5, n’ont pas montré de différence sur le neurodéveloppement des enfants du groupe exposés aux oméga-3 comparativement à ceux exposés au placebo », précise la Dre Guillot.

Une fois ce constat établi, elle s’est demandé si certains enfants pourraient quand même bénéficier d’un apport accru en oméga-3, par exemple les filles par rapport aux garçons ou encore les grands prématurés nés avant 27 semaines par rapport à ceux nés entre 27 et 29 semaines. L’analyse exploratoire des données a suggéré que les bébés nés avant 27 semaines pouvaient potentiellement retirer certains bénéfices de la supplémentation en oméga-3 pour leur neurodéveloppement. 

« Mais c’est tôt pour détecter les déficits, pour bien évaluer le développement et prédire l’évolution vers l’âge adulte. Nous avons donc refait une évaluation à cinq ans avec le sous-groupe québécois de l’étude initiale. Et encore une fois, nous n’avons pas trouvé de différence significative entre le groupe oméga-3 et le groupe placebo. Par contre, nous avons refait le même exercice pour évaluer si des sous-populations pouvaient bénéficier de cette supplémentation. À nouveau, les analyses suggèrent que les bébés nés avant 27 semaines ainsi que les bébés filles pourraient bénéficier d’une supplémentation en oméga-3, notamment au niveau des fonctions exécutives pour les grands prématurés et au niveau du langage, des capacités sociales et de la mémoire de travail pour les filles », détaille la Dre Guillot. 
 

Des pistes pour répondre aux questions soulevées

Pour tenter de répondre aux nombreuses questions suscitées par les résultats, les Dres Marc et Guillot ont procédé à une revue systématique avec méta-analyse combinant les données de leur étude avec celles de l’essai australien, mais en utilisant une définition plus actuelle de la dysplasie bronchopulmonaire et en précisant l’effet du DHA sur le risque d’une maladie sévère. Les résultats paraîtront prochainement dans un article actuellement en révision. 

« Nous savons que c’est nécessaire de supplémenter le prématuré en DHA, mais pas encore à quelle dose, à quel moment et pour quel résultat. À ce stade, nous voyons que ça peut améliorer certains résultats, mais en détériorer d’autres. Ce qu’il faut maintenant déterminer, c’est si les effets négatifs observés se résorbent à cinq ans, à six ans, à dix ans…, et si certains sous-groupes peuvent en bénéficier », poursuit la Dre Marc. 

La Dre Guillot ajoute que l’équipe « aimerait suivre la cohorte initiale à l’âge scolaire, faire une évaluation plus complète incluant le neurodéveloppement et les habiletés académiques, mais aussi la santé cardiaque et pulmonaire, puis revoir l’impact à long terme de cette supplémentation. »

Avec leur étude MOBYDIck, les deux pédiatres espèrent contribuer à établir des lignes directrices claires et ainsi mieux outiller les cliniciens sur le rôle des oméga-3 en période néonatale. Elles souhaitent également que leurs travaux contribuent à fournir des informations justes aux parents de bébés nés très prématurément.

Chose certaine, leur cohorte, composée de prématurés de moins de 29 semaines bien caractérisés, représente une mine de données pour d’éventuels projets qui aideront à faire progresser les connaissances sur l’évolution des enfants prématurés.

      
Les Dres Isabelle Marc et Mireille Guillot.
 


Remerciements

Les Dres Marc et Guillot tiennent à remercier tous leurs collaborateurs québécois, canadiens et à l’international, et plus particulièrement Étienne Pronovost, professionnel de recherche, David Simonyan, biostatisticien, ainsi que toutes les étudiantes ayant participé à des stages de recherche au sein de l’équipe. 

 


Notes

  1. MOBYDIck : Maternal Omega-3 Supplementation to Reduce Bronchopulmonary Dysplasia in Very Preterm Infants. L’acronyme fait le lien entre Moby Dick, une baleine, et les oméga-3 qui se trouvent principalement dans les poissons.

  2. DHA : acide docosahexaénoïque.

  3. Article publié dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) : Marc I., Piedboeuf B., Lacaze-Masmonteil T., et al. Effect of Maternal Docosahexaenoic Acid Supplementation on Bronchopulmonary Dysplasia–Free Survival in Breastfed Preterm Infants: A Randomized Clinical Trial. JAMA. 2020;324(2):157–167. https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2768134

  4. Âge corrigé : « Jusqu’à l’âge de 2-3 ans, lorsqu’on compare l’enfant prématuré aux normes attendues pour l’âge, on doit corriger son âge en tenant compte de sa prématurité. C’est-à-dire qu’on doit soustraire le nombre de semaines de prématurité de son âge chronologique (âge calculé à partir de la date de naissance). On utilise cet âge corrigé pour déterminer si l’enfant prématuré atteint les étapes du développement tel qu’attendu. Après cette correction, on constate que la plupart des enfants prématurés se développent comme les autres enfants de leur âge. » Source : CHU Sainte-Justine, https://www.chusj.org/fr/soins-services/P/Prematures/Age-corrige (page consultée le 31 mai 2024).

  5. Article publié dans Pediatrics : Guillot M., Synnes A., Pronovost E., et al. Maternal High-Dose DHA Supplementation and Neurodevelopment at 18–22 Months of Preterm Children. Pediatrics 2022;150(1): e2021055819. https://publications.aap.org/pediatrics/article/150/1/e2021055819/188230/Maternal-High-Dose-DHA-Supplementation-and


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Dernière révision du contenu : le 17 juin 2024

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