Recherche clinique en infectiologie : ouvrir la voie aux méthodes diagnostiques du futur

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La Dre Sandra Isabel est depuis longtemps fascinée par les petits êtres vivants; c’est probablement pourquoi elle a choisi de consacrer sa carrière aux enfants et… aux microbes!

La jeune microbiologiste, pédiatre et infectiologue a joint les équipes du Centre mère-enfant Soleil et de microbiologie médicale du CHU de Québec-Université Laval tout récemment, mais elle est en terrain connu, puisque c’est au Centre de recherche en infectiologie, sous la direction du Dr Michel G. Bergeron, qu’elle a effectué sa maîtrise sur le diagnostic moléculaire des maladies infectieuses, puis son MD-PhD, il y a quelques années.

Spécialisée en maladies infectieuses pédiatriques, en microbiologie médicale et en génomique microbienne, la Dre Sandra Isabel dispose d’un vaste terrain de jeu pour ses recherches actuelles et futures. À l’aide de nouvelles technologies, comme la génomique1, la protéomique2, la métabolomique3 et l’intelligence artificielle, elle souhaite améliorer le diagnostic et la surveillance des maladies infectieuses et, par le fait même, les soins aux patients. 

« Mon laboratoire se spécialise en recherche translationnelle : nous développons des tests diagnostiques avec les technologies de pointe, puis nous recrutons des patients pour confirmer la validité de ces tests. On veut que les tests donnent un diagnostic précis, de qualité, rapide et pertinent; le test doit avoir une plus-value claire pour le patient, précise la Dre Isabel. En tant que pédiatre, c’est facile pour moi d’identifier des besoins diagnostiques auxquels les technologies actuelles ne répondent pas ou pour lesquels le délai de réponse est long. »

Le délai de réponse est effectivement un problème de taille, puisqu’en cas de doute sur les causes de l’infection, c’est souvent un antibiotique à large spectre qui est choisi comme traitement. « Avoir une réponse plus rapide et plus précise, ça nous permettrait une utilisation plus pointue des antimicrobiens, ce qui aiderait à freiner la résistance aux antibiotiques et aux antimicrobiens », ajoute-t-elle.
 

Améliorer les tests de suivi pour la fibrose kystique

L’un des projets de recherche actuels de la Dre Isabel, financé par la Fondation de la recherche pédiatrique, concerne les tests de suivi pour les patients atteints de fibrose kystique. Afin de diminuer l’inflammation et le déclin de la fonction respiratoire chez ces patients, des échantillons d’expectoration sont régulièrement prélevés pour voir quelles bactéries sont en cause et ainsi personnaliser les traitements. Cependant, de nouveaux médicaments aident à réduire l’accumulation de mucus dans les voies respiratoires chez plusieurs patients; c’est une excellente chose pour eux, mais cela pose un problème diagnostique, puisque les expectorations contenant des bactéries à analyser sont plus difficiles à obtenir.

La Dre Isabel aimerait donc trouver une autre manière d’obtenir l’information sur les bactéries des voies respiratoires, et la piste des biopsies liquides s’avère intéressante : celles-ci permettent de détecter efficacement des traces d’acide nucléique microbien circulant dans le sang. Toutefois, ces approches coûtent actuellement très cher et ne sont pas toujours accessibles en raison des contraintes des compagnies américaines qui analysent ces tests.

« L’étude, menée en collaboration avec les professeurs Maria Fernandes et Jacques Corbeil, comporte un premier volet qui utilise la génomique afin d’améliorer la technique des biopsies liquides et, surtout, de la rendre plus facilement accessibles aux laboratoires cliniques. 

L’autre volet de l’étude analyse d’une part la réponse des globules blancs et la métabolomique, d’autre part, qui consiste à chercher des métabolites spécifiques aux bactéries nocives qui colonisent les poumons des personnes atteintes de fibrose kystique. « C’est quelque chose qui n’a pas été exploré encore et, si nous réussissons à développer une solution technologique qui donne une réponse précise à moindre coût, ce sera un grand avantage et ce sera plus facilement transférable dans la pratique. Pour le moment, ça fonctionne très bien avec les échantillons en laboratoire. Il nous reste à voir si les quantités présentes dans le sang, dans les échantillons de patients, sont suffisantes pour bien détecter les bactéries. »

Les patients seront d’ailleurs recrutés au cours des prochains mois par le Dr Patrick Daigneault, pneumologue spécialisé en fibrose kystique et chercheur, et ses collègues. « Nous visons recruter 10 enfants atteints de fibrose kystique porteurs de la bactérie Pseudomonas aeruginosa, 10 autres enfants porteurs de Staphylococcus aureus et 10 enfants qui n’ont pas la fibrose kystique. » 

La portion recherche clinique de l’étude va donc débuter avec cette cohorte locale et, si les résultats sont encourageants, des collaborateurs d’autres établissements du Canada et de l’Irlande du Nord sont déjà prêts à participer à une deuxième phase4
 

Améliorer la surveillance de l’entérovirus D68

« Environ tous les deux ans, il y a une vague d’entérovirus D68 qui cause des difficultés respiratoires, particulièrement chez les enfants. Certain de ces enfants se présentent aux urgences avec une paralysie flasque aiguë; ils peuvent par exemple avoir un bras ou une jambe qui ne bouge plus et qui devient flasque. L’entérovirus fait partie de la même famille que le poliovirus, et cette paralysie flasque est connue dans la polio, donc on pense que les deux phénomènes pourraient être liés. »

Pour son deuxième projet en cours, financé par le prix « Emerging Scholar Research Award » de la Lung Health Foundation et mené en collaboration avec le Dr Simon Berthelot, la Dre Marie-Louise Vachon et la Dre Sylvie Trottier, la Dre Sandra Isabel utilise les échantillons de virus respiratoires et les informations cliniques de patients adultes recrutés pour une autre étude conclue en 2023. Cette cohorte se situe justement au sommet d’une vague d’entérovirus D68, ce qui va fournir de précieux indices pour comprendre la manière dont le virus atteint les adultes.

L’entérovirus D68 étant petit, il sera également facile et peu coûteux de séquencer son génome complet. À partir de là, la Dre Isabel va analyser des modèles de phylodynamie5 qui aideront à comprendre l’évolution et la transmission de l’infection dans la communauté. « Du côté épidémiologie et surveillance des maladies infectieuses, il y a un bénéfice à savoir tout ça, puisque l’impact sur le système de santé peut être grand. Ça nous permet de mieux nous préparer. Maintenant qu’on a vécu la COVID-19, je crois que les gens comprennent mieux pourquoi c’est important! » 

D’ailleurs, en plus de ces deux volets de l’étude, la Dre Isabel souhaite en profiter pour mettre à jour le test PCR6 dédié à l’entérovirus D68. Enfin, puisqu’aucun antiviral n’existe encore pour traiter ce virus, la virologiste Mariana Baz participe au projet afin d’identifier des pistes potentielles pour un médicament.

« C’est une chance que j’ai de pouvoir collaborer avec des chercheurs bien établis : les projets ont des débouchés et des bénéfices potentiellement importants pour nos patients. » 
 

25 000 « bibittes » dans le labo

La Dre Sandra Isabel est aussi directrice de la collection de souches du Centre de recherche en infectiologie, collection qui a été rassemblée par le Dr Michel G. Bergeron tout au long de sa carrière. Avec ses quelque 25 000 souches bactériennes, virales, fongiques et parasitaires, dont certaines sont rares et précieuses, c’est l’une des plus grosses biobanques du genre au Canada. Elle sert notamment à développer des tests diagnostiques et est rendue accessible aux chercheurs et aux laboratoires cliniques qui en font la demande.

« En plus de toutes ces souches, nous avons un laboratoire qui est parfaitement aménagé et équipé, et nous avons l’expertise pour utiliser le tout à son plein potentiel. À la base, le matériel a été mis au point pour le diagnostic des maladies infectieuses, puis on l’a amélioré avec les technologies actuelles. Les gens qui l’ont conçu, il y a 20 ans, pouvaient juste rêver de ce qu’on peut faire maintenant. Maintenant, je peux juste rêver qu’on va amener ces technologies-là vers les patients et que ça va contribuer à améliorer la qualité de leurs soins. »


L'équipe de recherche en infectiologie pédiatrique à l’été 2024 composée d’étudiants, de professionnels de recherche et d’infectiologues. À l’arrière, de gauche à droite : Dre Andrée-Anne Boisvert, Immanuel Redah, Dre Roseline Thibeault, Victoria Mailhot, Anaël Tessier-Gagnon, Martin Gagnon, Ève Bérubé, Yasmine Sahnoun et Dre Chantal Buteau. À l’avant : Myriam Perkins, Dre Sandra Isabel, Dre Maria Christina Mallet et Martine Bastien. L'une de ces personnes était absente lors de la photo et a été ajoutée avec permission à l’aide de l’intelligence artificielle. Pouvez-vous deviner qui est cette personne? 

Réponse : Martine Bastien. 


Photo principale : Immanuel Redah, étudiant de la Lawrence University au Wisconsin, était en stage dans le laboratoire de la Dre Sandra Isabel durant l’été 2024. Sur cette photo, il réalise une PCR6 pour le diagnostic de l’entérovirus D-68 en travaillant de façon stérile dans une hotte à flux laminaire. 


 


Notes

  1. Génomique : « Discipline scientifique qui a pour objet d'inventorier l'ensemble des gènes d'un organisme vivant et d'en étudier les fonctions. » Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8366615/genomique (page consultée le 2 juillet 2024).

  2. Protéomique : « […] discipline […] qui regroupe les activités de recherche destinées à rassembler l’information complète sur l’expression des protéines des organismes dont le génome a été identifié. » Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/17010981/proteomique (page consultée le 2 juillet 2024).

  3. Métabolomique : « Discipline scientifique qui étudie et répertorie l’ensemble des métabolites présents dans une cellule. » Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26507279/metabolomique (page consultée le 2 juillet 2024).

  4. Phases des essais cliniques : Phase 1 : Il s’agit habituellement de la première fois où le traitement est administré à des humains. On cherche à en vérifier l’innocuité et à en déterminer la dose optimale sur quelques sujets. Phase 2 : À cette étape, on teste essentiellement l’efficacité d’un traitement selon une dose déterminée. Les tests se font sur un plus grand nombre de participants. Phase 3 : La phase 3, se faisant à plus grande échelle, sert à comparer l’efficacité du nouveau traitement avec celle du traitement habituel. 

  5. Phylodynamie : étude de la variation génétique des agents pathogènes ainsi que de son incidence sur leur transmission.

  6. PCR (Polymerase Chain Reaction) : « amplification en chaîne par polymérase : procédé d’amplification enzymatique in vitro permettant d’obtenir un très grand nombre de copies d'une séquence d'ADN à partir d'une faible quantité d'acide nucléique. Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8874735/amplification-en-chaine-par-polymerase (page consultée le 2 juillet 2024).




 


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Dernière révision du contenu : le 12 septembre 2024

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