Mois Promotion Qualité : ça fonctionne vraiment, l’« éthique »?

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Le Bureau d’éthique appliquée (BEA) du CHU de Québec-Université Laval (CHU) offre un service de consultation en éthique. Cela signifie que les conseillers en éthique du BEA peuvent être sollicités en toutes circonstances pour une situation ayant trait aux activités courantes de l’établissement et qui soulèverait des questions ou des enjeux éthiques.

Par Hugues Vaillancourt, conseiller en éthique, Bureau d’éthique appliquée, Direction de la qualité, de l’évaluation, de l’éthique et des affaires institutionnelles 

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Selon la nature de la situation, la consultation correspond alors à l’un des deux principaux domaines d’action du BEA : l’éthique clinique ou l’éthique de la gestion et de la gouvernance. Cette distinction est surtout conceptuelle, puisque bon nombre de situations en établissement de santé se révèlent souvent, dans les faits, être à la croisée des deux.

Une consultation en éthique aide à faire valoir la dimension éthique qui est intrinsèque à tout type de décision prise au sein d’une organisation, tel qu’un établissement de santé. L’éthique propose une méthode de réflexion et de délibération s’articulant essentiellement autour de valeurs et de principes. Cette approche facilite le dialogue entre les différentes professions et les différents intervenants, car les valeurs et les principes permettent un langage transdisciplinaire vers lequel tout peut être traduit et donc considéré d’une commune mesure. L’éthique permet ainsi de rendre explicite la complexité morale inhérente aux dilemmes décisionnels du quotidien et d’aider à leur trouver des solutions réfléchies, nuancées et satisfaisantes.

Un service de consultation en éthique, comme celui du BEA, est mis sur pied avant tout par un exercice de bonne foi. On assume que, dans une situation sensible, le recours à un avis neutre et indépendant, ça ne peut certainement pas nuire! Or, une question toute simple, mais fort légitime, se pose malgré tout : est-ce que ça fonctionne vraiment, l’« éthique »? Est-ce que la consultation en éthique est réellement à la hauteur de ses ambitions d’améliorer la qualité des décisions? Il s’agit d’une question tout indiquée dans le cadre des activités du Mois Promotion Qualité 2021! Nous nous intéresserons aujourd’hui spécifiquement à la question de l’efficacité de l’intervention en éthique dans le domaine où elle a été le plus étudiée scientifiquement, soit dans les activités de consultation en éthique clinique.
 

Un sujet d’intérêt scientifique

Bénéficiant d’un intérêt et d’une reconnaissance grandissante dans les établissements de santé, la consultation en éthique clinique est devenue au cours des dernières années un objet d’intérêt scientifique important. Avec le concours de chercheurs universitaires spécialisés, plusieurs services en éthique d’établissements de santé se sont soumis à l’exercice d’évaluation de leurs pratiques. De nombreuses études scientifiques permettent désormais d’apprécier la consultation en éthique clinique sous deux dimensions distinctes, mais complémentaires : la description des activités de consultation en éthique clinique dans les soins, ainsi que les effets de la consultation en éthique clinique sur les soins. La création, l’implantation et le développement de nouveaux services de consultation en éthique clinique dans les établissements de santé bénéficient ainsi de plus en plus de renseignements pour argumenter la pertinence et la valeur de ce service spécialisé.
 

Description des activités de consultation en éthique clinique dans les soins

Il existe plusieurs études rétrospectives qui concernent le fonctionnement général des services de consultation en éthique clinique au sein d’établissements de soins. Ce type d’études permet généralement de caractériser le volume d’activités de consultation en éthique clinique en fonction de plusieurs attributs. Parmi ces attributs, on trouve notamment le volume général d’activités de soins de l’établissement (nombre de lits, nombre de jours-soins…), la mission de soins de l’établissement (soins d’hébergement de longue durée, soins spécialisés…) ou encore le degré de maturité du service de consultation en éthique clinique (durée d’existence du service, qualification de son personnel en matière d’éthique…). Il permet également d’étudier la distribution du volume d’activités de consultation en éthique clinique d’un établissement en fonction des différentes unités ou départements, des appartenances professionnelles des demandeurs, des enjeux éthiques rencontrés, des actions posées dans le cadre de la consultation en éthique clinique ou en fonction de son évolution à travers les années.

D’autres études rétrospectives documentent les activités de consultation en éthique clinique auprès de clientèles ou de contextes cliniques spécifiques, comme la pédiatrie, l’oncologie pédiatrique, les maladies vasculaires-cérébrales, la toxicodépendance, la psychiatrie, et même sur le sujet très actuel du traitement de la COVID-19. Ce type d’études permet de mettre en exergue et de caractériser les enjeux éthiques spécifiquement rencontrés dans le cadre de la consultation en éthique clinique dans des contextes cliniques bien précis.
 

Effets de la consultation en éthique clinique sur les soins

Les études qui évaluent les effets de la consultation en éthique clinique sont nécessairement plus rares, compte tenu de la complexité supplémentaire de mettre en place des protocoles expérimentaux à cet effet. Néanmoins, la consultation en éthique clinique bénéficie malgré tout de quelques revues systématiques de littérature récentes afin de faire un bilan actuel sur son efficacité. Ces revues systématiques portent tantôt sur la consultation en éthique clinique en général (tous contextes cliniques confondus) ou sur des contextes cliniques reconnus d’emblée les plus fréquents et prometteurs en matière de consultation en éthique clinique, soit en soins intensifs et en soins palliatifs et de fin de vie. 

Avant de parler des résultats fournis par ces revues systématiques, une remarque est de mise. Un débat de fond subsiste quant à l’évaluation de l’efficacité de la consultation en éthique clinique. Certains auteurs plaident en faveur d’une évaluation basée sur des résultats cliniques, tels que la réduction des durées d’hospitalisation, la réduction des coûts de soins ou le taux de retrait de traitements de maintien de la vie, alors que d’autres plaident en faveur d’une évaluation basée sur des résultats de processus, tels que la satisfaction des demandeurs, la réduction de la détresse morale du personnel soignant ou encore le taux de complétion de plan ou d’objectif de soins. Alors que les résultats cliniques permettent d’évaluer la consultation en éthique clinique à l’aide d’un dénominateur commun à plusieurs autres interventions cliniques, les résultats de processus sont davantage associés à la nature spécifique de la consultation en éthique clinique. Ce débat met en scène une opposition entre une détermination extrinsèque et intrinsèque des critères d’évaluation de la consultation en éthique clinique. Cela met également en scène une forme d’opposition idéologique entre concevoir la consultation en éthique clinique comme un simple moyen pour améliorer la qualité des soins ou encore comme une finalité en elle-même, c’est-à-dire une forme de soin qui a une valeur en soi. Nous ne tenterons pas ici de résoudre ce débat qui anime toujours les passions des chercheurs de ce domaine!

Les effets les plus fréquemment mesurés et les plus convaincants en matière d’évaluation de la consultation en éthique clinique concernent les résultats de processus. En règle générale, la consultation en éthique clinique démontre être éducative en matière d’éthique, avoir un impact favorable sur les soins selon la perception des demandeurs, faciliter les prises de décision consensuelles ainsi que fournir un soutien moral et émotionnel important. La consultation en éthique clinique se révèle ainsi être généralement satisfaisante, autant aux yeux des professionnels de la santé que des patients et de leurs proches. De subtiles distinctions existent néanmoins parmi les parties prenantes. Notamment, les médecins ont tendance à démontrer des taux de satisfaction à la consultation en éthique clinique légèrement inférieurs, en moyenne, par rapport aux autres corps professionnels et aux patients.

En règle générale, la consultation en éthique clinique démontre être éducative en matière d’éthique, avoir un impact favorable sur les soins selon la perception des demandeurs, faciliter les prises de décision consensuelles ainsi que fournir un soutien moral et émotionnel important. 

Quelques résultats cliniques démontrent également que la consultation en éthique clinique est significativement associée à une diminution de la durée de séjour, mais uniquement dans le contexte clinique des soins intensifs. Son impact ne s’est cependant pas révélé significatif jusqu’à maintenant sur la réduction du nombre de jours de soins avec des traitements de maintien de la vie (ventilation mécanique, nutrition et hydratation artificielle) ou sur la réduction du coût total d’hospitalisation. 

Une part d’ombre demeure cependant importante dans l’étude des effets de la consultation en éthique clinique. Cela s’explique à la fois parce que les études sur les résultats cliniques demeurent relativement rares à ce jour, car difficiles à réaliser, et également parce que les devis expérimentaux utilisés démontrent un certain manque de rigueur et de maturité scientifique. Une revue systématique sur le sujet identifie par exemple qu’aucune de ces études n’a encore évaluée l’effet de la consultation en éthique clinique sur le conflit décisionnel, sur le niveau d’implication du patient dans la prise de décision, sur la détresse morale du personnel soignant ou encore sur la qualité de vie des patients. Ce constat étonne d’autant plus qu’il existe déjà des échelles de mesure connues et validées scientifiquement pour ces construits qui auraient pu facilement être intégrées dans les devis d’études. Cela aurait permis d’évaluer l’effet comparé de la consultation en éthique clinique sur la base de mesures déjà utilisées couramment pour évaluer l’efficacité d’interventions cliniques de nature différente ou la qualité des soins dans sa globalité.

De plus, cette même revue systématique soutient qu’un intérêt plus grand devrait aussi être accordé à l’étude des effets potentiellement négatifs (ou iatrogènes) de la consultation en éthique clinique. Alors qu’il est d’usage de considérer ce type d’effets dans l’appréciation de n’importe quelle autre type intervention clinique, ceux-ci semblent trop peu pris en compte dans les devis expérimentaux d’études sur la consultation en éthique clinique jusqu’à maintenant. Cette critique prend d’autant plus de pertinence quand on constate que les rares études qui ont eu la perspicacité de mesurer ces effets ont effectivement décelé chez certains participants du stress ou de l’insatisfaction lié à l’exercice de consultation en éthique clinique. Des études accordant davantage d’intérêt aux circonstances dans lesquelles des effets négatifs sont observés seraient ainsi requises afin d’avoir un portrait plus juste de l’effet global de la consultation en éthique clinique afin de permettre l’identification de solutions pour minimiser le plus possible ces effets collatéraux.

Conclusion

Avec la professionnalisation et l’institutionnalisation de plus en plus importante du travail de consultation en éthique clinique dans les établissements de santé, il est clair que le corpus de connaissances scientifiques sur son efficacité sera appelé à croître significativement au cours des prochaines années. Ces efforts de recherche permettront assurément de contribuer au souci d’amélioration continue de la qualité de cette pratique spécialisée. La disponibilité de plusieurs autres études permettra aussi de fournir à la consultation en éthique clinique un certain vernis de validité scientifique qui, faut-il l’admettre, contribuera à ce qu’elle soit davantage reconnue parmi les autres interventions cliniques visant à améliorer la qualité des soins. 

Aucune étude récente sur la consultation en éthique clinique n’a eu lieu dans l’un des établissements du réseau de la santé québécois. Cela dit, il y a fort à parier qu’il y en aura prochainement, considérant que la pratique de la consultation en éthique clinique prend du galon au Québec depuis quelques années. Qui sait si les activités de consultation en éthique clinique du BEA feront un jour l’objet d’une étude scientifique? Espérons-le! Cela ne pourra qu’aider à soutenir la qualité du travail spécialisé qui est offert localement par votre BEA.
 

Références

Par souci de concision, la liste complète des références consultées n’est pas jointe à l’article. Si vous souhaitez en apprendre davantage par vous-mêmes sur l’effet des consultations en éthique clinique, vous pouvez consulter des références choisies sur la page thématique Éthique en santé du site de la Bibliothèque du CHU, dans la section Lectures sélectionnées, sous le thème Consultation en éthique clinique – efficacité. Pour les plus férus d’entre vous, il est possible de se procurer la version de cet article incluant le référencement complet en écrivant au BEA, à ethiqueclinique@chudequebec.ca.

 
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Dernière révision du contenu : le 16 novembre 2021

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