Par Michel Giroux – 1er avril 2016
La qualité de la relation ou de l’alliance avec un patient en thérapie est reconnue comme un élément clé de l’efficacité thérapeutique. S’appuyant sur de nombreuses études, l’auteur expose comment la thérapie des schémas ainsi que la pratique de la pleine conscience se révèlent être des outils incontournables de l’efficacité thérapeutique.
La thérapie des schémas dispose de quatre méthodes thérapeutiques : les méthodes cognitives, les méthodes émotionnelles, la modification comportementale et la relation thérapeutique. J. E. Young, le fondateur de la thérapie des schémas, a su replacer la relation au cœur de la thérapie, alors qu’elle semblait disparue du radar dans le champ des thérapies cognitivo-comportementales. Que nous disent la recherche et les données probantes sur l’efficacité clinique de l’alliance thérapeutique? Comment se définit la relation thérapeutique selon le modèle de la thérapie des schémas? En quoi la pleine conscience peut-elle enrichir la qualité de présence du thérapeute? L’alliance thérapeutique reprend une place dans les approches de la troisième vague.
L’alliance thérapeutique et les données probantes
Nous explorerons ce que nous dit la recherche sur l’efficacité de la relation thérapeutique et sur ses principaux ingrédients. Selon moi, la conscience relationnelle du thérapeute comprend la conscience de soi, la conscience de l’autre et la conscience du nous.
Les recherches semblent suggérer que les thérapeutes qui ont les meilleurs résultats sont ceux qui sont attentifs et sensibles à l’expérience subjective du client et à leur expérience, à l’expérience interactive et flexibles pour ajuster leurs interventions aux besoins du client (Lecomte, 2013, p. 21).
La qualité de la relation thérapeutique influence de façon constructive l’efficacité de la psychothérapie, ce qui a été soutenu par des données probantes (Lecomte, Savard, Drouin et Guillon, 2004). Elle est une pièce maîtresse des compétences du clinicien. Selon Lecomte (2013 et 2014) :
- les thérapeutes qui obtiennent de façon soutenue de bons résultats ont d’abord facilité la qualité de l’alliance et l’engagement émotionnel du client dans l’application de leur intervention;
- les thérapeutes conscients de l’influence et des perturbations relationnelles sur les progrès thérapeutiques et qui arrivent à restaurer l’alliance obtiennent de meilleurs résultats thérapeutiques;
- l’ensemble de la littérature scientifique suggère que la qualité de l’alliance thérapeutique est associée de façon constante à l’obtention de bons résultats.
En résumé, « les psychothérapeutes efficaces semblent être ceux qui arrivent à reconnaître, à tous moments, leur propre subjectivité et surtout à trouver des modalités d’autorégulation et de régulation interactive leur permettant d’offrir des réponses sensibles et ajustées au plus près de l’expérience subjective spécifique et idiosyncratique du client » (Lecomte, Savard, Drouin, et Guillon, 2004, p. 96). Les recherches actuelles donnent raison à J. E. Young concernant la puissance de la relation thérapeutique. Les thérapeutes efficaces misent sur leur engagement relationnel et cultivent la qualité du lien tout au long du parcours thérapeutique. Cette relation est judicieusement éclairée par la thérapie des schémas et par la pleine conscience.
Le schéma-thérapeute et la relation thérapeutique
La thérapie des schémas définit clairement ce qu’on peut attendre du thérapeute sur le plan relationnel. Nous allons en explorer quelques composantes.
Selon J. E. Young, les qualités du schéma-thérapeute se déclinent comme suit: « La souplesse est une qualité importante du schéma-thérapeute idéal. Comme le type de re-maternage nécessaire dépend de l’histoire infantile du patient, le thérapeute doit adapter son style pour correspondre aux besoins émotionnels de celui-ci. Selon les cas, le thérapeute devra donc générer de la confiance, fournir de la stabilité, aider à grandir émotionnellement, encourager l’indépendance, faire preuve de pardon. Il doit être capable de fournir par la relation thérapeutique tout ce qui peut servir d’antidote partiel aux « schémas inadaptés précoces » du patient. Comme un bon parent, le thérapeute est capable de répondre – dans la limite de la relation thérapeutique – aux besoins émotionnels de base du patient:
La sécurité liée à l’attachement aux autres (qui comprend : la stabilité, la sécurité, l’éducation attentive et l’acceptation);
- L’autonomie, la compétence et le sens de l’identité;
- La liberté d’exprimer ses besoins et ses émotions;
- La spontanéité et le jeu;
- Les limites et l’autocontrôle (Young, Klosko et Weishaar, 2005, p. 235-236).
Cette flexibilité du schéma du thérapeute requiert qu’il ait une conscience de ses besoins afin de s’ajuster aux besoins affectifs propres à chaque client. Il recourt à la confrontation empathique et au re-maternage partiel pour susciter une relation aidante et favoriser la guérison des schémas précoces inadaptés. La confrontation empathique suscite une mise à l’épreuve de la réalité dans laquelle le thérapeute exprime au client qu’il comprend les raisons du maintien de ses schémas, tout en l’amenant à se confronter à la nécessité du dépassement de soi. Dans le re-maternage partiel, la relation thérapeutique apporte une réponse émotionnelle adaptée aux besoins insatisfaits pendant l’enfance du client. La pleine conscience relationnelle du thérapeute lui permet d’éviter les pièges de l’évitement et de la compensation dans lesquels il pourrait soit esquiver les émotions du client, soit contre-attaquer avec hostilité. En résumé, le schéma-thérapeute a une conscience claire et chaleureuse du lien thérapeutique; il navigue au pas-à-pas dans la relation entre une empathie chaleureuse et l’encouragement au dépassement nécessaire à la croissance. Pour mieux comprendre et habiter cette conscience relationnelle, des ateliers s’inspirant de la pleine conscience (Vreeswijkm, Boroersen et Nardort, 2012) et intégrant la thérapie des schémas peuvent devenir un lieu de perfectionnement enrichissant pour les thérapeutes.
La pleine conscience du schéma-thérapeute
La thérapie des schémas et la pleine conscience se rejoignent sur de nombreux points, et cette rencontre féconde ne cesse de prendre de l’expansion. Cette rencontre peut devenir très utile en ce qui a trait à la conscience relationnelle du thérapeute, à sa conscience de soi, à sa conscience du client, à sa conscience de la relation, ce qui est fondamental, si l’on considère que l’efficacité thérapeutique repose fortement sur la qualité de la relation.
Le témoignage de cette psychologue pratiquant la pleine conscience décrit très clairement les effets bénéfiques de la pleine conscience sur le lien thérapeutique:
La méditation m’a, là aussi, appris beaucoup. Une autre «façon d’être» avec mon patient, petit ou grand. Je suis là, vraiment là, totalement là. En séance, toute mon attention, tout mon esprit, tout mon corps, sont engagés dans la rencontre. Alors je vois ce que je n’aurais jamais vu, j’entends ce que je n’aurais jamais entendu, je comprends ce qui m’aurait peut-être échappé. De façon authentique, distincte, claire. Ma pensée ne s’échappe plus, mes émotions ne me détournent plus, mon corps ne m’indispose plus. Seule existe cette présence à l’autre… La méditation a beaucoup changé ma pratique de psy. Je le vois à cette différence qualitative qui donne à la thérapie une puissance démultipliée (Siaud-Facchin, 2012, p. 71).
Le psychothérapeute qui travaille à partir de la pleine conscience est efficace en raison de son attention, de sa compassion, de son acceptation, de sa sagesse, tout en s’appuyant sur une démarche expérientielle à la fois structurée et flexible. « L’outil de base pour réaliser ce changement de mode de pensée, ou changement de vitesse mentale, est l’usage intentionnel de l’attention et de la conscience particulière » (Segal, Willilams et Teasdale, 2006, p. 98). Le thérapeute en pleine conscience doit pratiquer la méditation; c’est à partir de cette pratique qu’il développe une attitude de bienveillance attentive. Il acquiert une conscience ouverte et particulière. L’acceptation est au cœur de la psychothérapie méditative; elle permet au thérapeute d’être conscient de la qualité de sa présence, de ses fuites dans le vagabondage de ses pensées, de repérer sa résistance à celles du client et de reconnaître le moment où son esprit s’est rétracté sur une émotion liée à une émotion du client. Le thérapeute en pleine conscience soutient une pratique rigoureuse de la méditation dans un climat d’acceptation et de compassion. L’approche de la pleine conscience répond bien à la conscience moment par moment, dans le pas-à-pas de la relation thérapeutique.
La pleine conscience nourrit la bienveillance, la compassion, la sagesse (le juste effort) et l’exposition systématique aux inconforts nécessaires à une relation thérapeutique saine et efficace. La psychothérapie méditative a besoin de données supplémentaires pour comprendre les enjeux relationnels propres à la psychothérapie, ce à quoi la thérapie des schémas répond d’une manière très éclairante. Nous avançons que le schéma-thérapeute qui souhaite cultiver et entretenir un lien de qualité gagne à s’investir dans une pratique de la pleine conscience.
La relation thérapeutique selon la thérapie des schémas et la pleine conscience | quelques balises
- La qualité du lien en thérapie est devenue un facteur dont l’efficacité est prouvée par des données probantes, ce qui correspond à la place de la relation thérapeutique dans la thérapie des schémas.
- Selon Young, plus le client est affecté par des schémas importants, plus la relation s’impose comme un ingrédient fondamental et premier.
- La thérapie des schémas éclaire le thérapeute sur ses cognitions, ses émotions, ses attitudes relationnelles en réaction aux schémas spécifiques du client.
- La thérapie des schémas informe le thérapeute sur les stratégies dysfonctionnelles qu’il adopte en thérapie lorsque ses schémas ou ses modes sont activés : évitement, soumission ou contre-attaque.
- La thérapie des schémas permet au thérapeute de sonder, sur le plan expérientiel, ses forces et ses vulnérabilités par une connaissance de soi, de ses besoins, de son parcours de vie, de son histoire d’attachement et du parentage reçu. Elle lui permet également de comprendre ce qui constitue le fond de son identité professionnelle et la force de son attachement relationnel.
- Le schéma-thérapeute adopte une attitude de re-parentage partiel; il gagne à connaître son « adulte sain », ses vulnérabilités, et ce, en pleine conscience, moment par moment, au cœur de la relation thérapeutique et de ses méandres souvent inattendus.
- La pratique de la pleine conscience permet au thérapeute d’avoir une meilleure conscience relationnelle, d’être bienveillant, compatissant, autocompatissant, d’avoir la sagesse qui donne la mesure de l’effort juste, de sentir une attitude d’égalité entre lui et la personne aidée, et tout cela dans le contexte d’un investissement rigoureux et d’efforts soutenus.
- La pleine conscience et la thérapie des schémas soutiennent une attitude d’empathie, de bienveillance, en équilibre avec la confrontation et l’exposition expérientielle. D’après Young, l’empathie précède la confrontation, et ce, dans les quatre modalités thérapeutiques : cognitive, émotionnelle, comportementale et relationnelle.
La thérapie des schémas et la pleine conscience offrent une occasion exceptionnelle de renouveler notre compréhension de la relation thérapeutique par une analyse rigoureuse de la relation et une pratique méditative. La conscience relationnelle du psychothérapeute constitue un puissant levier pour son autonomie professionnelle; elle soutient la mise en place du lien thérapeutique fiable et sécurisant que requiert tout changement important en thérapie.
Références
AMTZ, A. et G. JACOB (2013). Schema therapy : An introductory guide to the schema mode approach, Chischester : Wiley-Blackwell.
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LECOMTE, C. (2014). Perturbations, ruptures et impasses relationnelles : expériences déterminantes du processus et des résultats thérapeutiques. Activité de formation continue. Document non publié R.P.C.C.Q.
LECOMTE, C. (2013). Le psychothérapeute face à son sentiment d’impuissance et d’incertitude. Activité de formation continue. Document non publié, R.P.C.C.Q.
LECOMTE, C., R. SAVARD, M.-S. DROUIN et V. GUILLON (2004). « Qui sont les psychothérapeutes efficaces? Implications pour la formation en psychologie », Revue québécoise de psychologie, 25(3), p. 73-102.
SEGAL, Z. V., M. G. WILLIAMS et J. D. TEASDALE (2006). La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience pour la dépression. Une nouvelle approche pour prévenir la rechute, Bruxelles : Éditions De Boeck.
SIAUD-FACCHIN, J. (2012). Comment la méditation a changé ma vie… et pourrait bien changer la vôtre, Paris : Odile Jacob.
VERRET, M.-H. (2013). Les effets de la pratique personnelle de la méditation pleine conscience sur les compétences professionnelles du travailleur social. Essai de l’Université de Sherbrooke, Canada.
VREESWIJKM, M., J. BOROERSEN et M. NARDORT (2012). Handbook of the Schema therapy. Theory, research and practice, section III, chap. 8, Mindfulness and ACT as strategies to enhance the healthy Adult Mode : The use of the mindfulness flasn card as an example ; chap. 9, Teaching mindfulness meditation with in a schema therapy framework et chap. 10, Schema-focused mindfulness an eight-session protocol, Chischester : Wiley-Blackwell.
YOUNG, J. E., J. S. KLOSKO et M. E. WEISHAAR (2005). La thérapie des schémas. Approche cognitive des troubles de la personnalité, Bruxelles : Éditions De Boeck.
Psychologue et conférencier, Michel Giroux pratique la psychothérapie depuis 28 ans auprès d’une clientèle d’adultes et de couples. En 2014-2015, il a dirigé des séminaires d’intégration de la thérapie des schémas. Il est l’auteur de Psychologie des gens heureux (2010) et Les valeurs religieuses en psychothérapie (2008) publiés chez Québécor. Ses champs d’intérêt sont le traitement de la dépression et de l’anxiété, la thérapie des schémas personnels et relationnels, la méditation psychothérapeutique ainsi que la supervision clinique.