Promotion de la santé au Canada

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Rétrospective des 30 dernières années 

Par Pascale Leclair-Roberts - 1er avril 2016

Nexus Santé célèbre cette année son 30e anniversaire en tant qu’organisme bilingue qui soutient les individus, les organismes et les communautés afin de renforcer leurs capacités à mettre au point des stratégies de promotion de la santé qui tiennent compte des déterminants plus larges de la santé.


Cette année, nous célébrons le 30e anniversaire de l’introduction de la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. En effet, la première conférence internationale sur la promotion de la santé, qui donnait naissance au célèbre document, a eu lieu en novembre 1986 à Ottawa. Les valeurs fondamentales et les principes clés de la promotion de la santé sont englobés dans la Charte d’Ottawa ainsi que cinq stratégies élémentaires visant l’amélioration de la santé des populations : élaborer une politique publique saine, créer des milieux favorables, renforcer l’action communautaire, favoriser l’acquisition d’aptitudes individuelles et réorienter les services de santé.
 
Afin de célébrer cet anniversaire, nous avons invité des experts à nous faire part de leurs réflexions, non seulement sur la Charte, mais surtout sur la promotion de la santé en général. Se basant sur leur propre expérience, Irving Rootman, Suzanne Jackson, Ann Pederson, Cameron Norman, Paola Ardiles et Sophie Dupéré ont partagé avec nous ce qu’ils identifient comme succès et leçons de la pratique à ce jour, ainsi que les directions futures. 
 
Avant d’amorcer la réflexion, les experts mentionnent que, de l’extérieur, il n’est pas facile de saisir ce qu’est la promotion de la santé et la manière de la mettre en pratique. Comme Ardiles l’explique, « il y a encore beaucoup de gens, même dans le domaine de la santé publique, qui continuent à penser que la promotion de la santé concerne uniquement les comportements, le style de vie ou l’éducation à la santé ». En fait, la promotion de la santé s’étend bien au-delà. La Charte présente la santé comme étant le produit de facteurs hors du contrôle de la personne. Ceci inclut, entre autres, les politiques publiques, les ressources financières, la sécurité alimentaire, le logement, l’éducation, la race, le genre, le statut autochtone, le développement à la petite enfance et l’environnement. Les praticiens de la promotion de la santé cherchent à améliorer les déterminants qui influencent la santé à travers divers mécanismes tels que l’appui aux communautés locales avec des programmes qui favorisent la santé. Ils façonnent également des politiques qui visent à améliorer la santé des populations.
 

Le Canada, la Charte d’Ottawa et la promotion de la santé | une histoire 

Le Canada est un leader dans le domaine de la promotion de la santé depuis plusieurs années, avant même la Charte d’Ottawa. En 1974, le gouvernement canadien avait publié un rapport intitulé Nouvelle perspective de la santé des Canadiens, aussi connu sous le nom de rapport Lalonde, puisqu’il avait été commandité par l’ancien ministre de la Santé Marc Lalonde. Ce rapport décrit pour la première fois la santé de manière holistique et la présente comme le résultat d’une combinaison de gènes, de style de vie et d’environnement. Le rapport Lalonde est aussi le premier à suggérer que la santé des Canadiens peut être améliorée grâce à la promotion d’une vie saine. Ce rapport innovateur a été vite reconnu et approuvé à l’échelle mondiale.
 
Au cours des années précédant la conférence d’Ottawa, la promotion de la santé au Canada a pris de l’ampleur. Plusieurs éléments ont été mis en place, tels que l’établissement d’un conseil d’administration fédéral de la promotion de la santé et le premier sondage national sur la promotion de la santé, devenant une base de données initiale dans ce domaine. « Ce conseil d’administration était le premier de son genre dans le monde », nous raconte Rootman. « C’était un modèle que pouvaient suivre et qu’ont suivi les autres pays. »
 
C’est au début des années 1980 que certaines craintes ont commencé à se manifester. La pratique se concentrait trop sur les comportements individuels et sur le style de vie. Cette préoccupation a motivé la tenue d’une première conférence internationale sur la promotion de la santé, donnant par la suite naissance à la Charte d’Ottawa.
 
Au cours des 30 dernières années, la Charte d’Ottawa a été un point de référence au plan international concernant la promotion de la santé. « Quand je vais au Brésil », commente Jackson « ils connaissent la Charte d’Ottawa. Si je vais en Afrique, ou à Taiwan, ils la connaissent aussi. C’est comme si tout le monde utilisait le même document à l’échelle mondiale. On peut dire qu’il y a un document qui forme la base de la pensée des praticiens à travers le monde ». La Charte unifie les praticiens mondialement, un élément unique du domaine de la promotion de la santé.
 
Au Canada, la Charte a guidé plusieurs initiatives importantes, par exemple, la lutte contre le tabagisme. Le contrôle du tabac est, sans doute, l’enfant modèle de la pratique. Tel qu’a observé Dupéré, les lois entourant le tabagisme au Canada sont parmi les plus strictes au monde. Non seulement elles protègent le public de la fumée secondaire, mais elles ont réussi à faire baisser les taux de tabagisme parmi les Canadiens. Aujourd’hui, nos taux de tabagisme sont parmi les plus bas au monde. 
 
La Charte a remporté aussi plusieurs autres succès. Par exemple, la mise en place des pistes cyclables dans la planification des villes et centres urbains, l’introduction des petits déjeuners et d’une nourriture saine dans les écoles, la sensibilisation et la reconnaissance de la santé mentale, le site d’injections supervisées à Vancouver, le support et les réseaux en augmentation pour les aidants naturels, la garde ou l’éducation subventionnée au Québec, le changement des codes des bâtiments pour accommoder les personnes souffrant d’un handicap physique, et récemment, la pression pour une enquête nationale sur la disparition et l’assassinat de femmes autochtones. 
 
En fait, on pourrait dire qu’un des plus grands succès de la Charte a été sa capacité de propager son langage et ses concepts dans une myriade de secteurs, et de se retrouver dans diverses sphères politiques. « Nous retrouvons des concepts tels que les déterminants sociaux de la santé dans plusieurs domaines qui ne sont pas liés à la promotion de la santé », signale Norman. Par conséquent, les professionnels de ces domaines plaident souvent pour une cause ancrée dans les principes de la promotion de la santé. « Ce qui représente un défi stimulant », ajoute Pederson « c’est que la promotion de la santé possède une énorme lentille qui traverse de multiples domaines. Alors tu peux travailler à améliorer la santé en étant un activiste contre la pauvreté, un activiste pour l’égalité des sexes ou un champion pour l’amélioration de l’environnement. Il y a une multitude de façons de pratiquer la promotion de la santé. » On peut même faire de la promotion de la santé à travers des documents gouvernementaux, comme l’a démontré le premier ministre Justin Trudeau dans ses lettres de mandat aux nouveaux ministres. Dans presque chacune d’elles, on y trouve un langage direct ou des principes dérivant de la promotion de la santé.
 
En revanche, explique Ardiles, ce succès connaît aussi des revers. Puisque la promotion de la santé s’« intègre dans tout, nous en perdons possession et nous perdons la fondation qui l’identifie. On arrive à des situations où le domaine de la promotion de la santé est difficile à identifier. » De plus, les derniers quinze ans ont été démoralisants et frustrants pour la pratique au Canada. Les coupures financières importantes et la fermeture de réseaux formels tels que le Réseau canadien de la santé, le Réseau canadien de la santé des femmes et de plusieurs centres de recherche pour la promotion de la santé, l’ont fortement affectée. L’éventail des secteurs impliqués dans la promotion de la santé fait en sorte qu’il est difficile de rassembler les praticiens et la décomposition de sa structure rend la communication entre eux encore plus difficile. 
 
D’un autre côté, cette situation a forcé les praticiens à s’attacher aux autres secteurs pour prendre une forme qu’Ilona Kickbush appelle un rhizome : un système caractérisé de racines innombrables se répandant horizontalement et sans ordre, mais qui arrive toutefois à s’épanouir et influencer son environnement. Et cette forme n’est pas une faiblesse, mais une force. Comme Ardiles le souligne, nous avons pu réussir grâce à cette forme. La Charte a résisté à l’épreuve du temps et cette nouvelle forme, les professionnels l’ont adoptée. Même si ce n’est pas reconnu en tant que tel, elle est présente de fait. 
 

L’avenir

Personne ne peut prévoir avec certitude à quoi le futur ressemblera. Quand la question « à quoi nous 
attendons-nous du domaine de la promotion de la santé » était posée il y a cinq ans, la réponse était souvent « à plus ou moins la même chose ». Le nouveau gouvernement libéral et la nomination de Jane Philpott, détentrice d’une maîtrise en santé publique, en tant que ministre de la Santé, ont suscité un regain d’optimisme et d’espoir parmi les praticiens, un sentiment non ressenti depuis très longtemps. Ce n’est pas encore une victoire, par contre. Les plus sceptiques pensent qu’il faut attendre.
 
Cela dit, les praticiens ne sont pas inactifs, ni silencieux. Ils expriment clairement ce qu’ils souhaitent et ce que le nouveau gouvernement pourrait apporter. Parmi les changements espérés, on retrouve l’introduction d’un nouveau réseau pancanadien pour la promotion de la santé, des solutions apportées aux problèmes que vivent les autochtones, le renforcement de l’analyse comparative entre les sexes et l’amélioration de la santé mentale dans les milieux de travail. 
 
Un élément central souligné plusieurs fois par les experts : la santé écologique. Le changement climatique bouleverse nos environnements et affecte notre santé. Les émissions du dioxyde de carbone par personne au Canada nous placent au 14e rang mondialement. Les villes canadiennes souffrent de hauts taux de pollution, ce qui engendre des conditions propices à de graves problèmes de santé tels que l’asthme et des maladies cardiovasculaires. Les températures extrêmes provoquent des milliers de décès chaque année. Les feux de forêt incontrôlables détruisent nos ressources naturelles, exterminent la faune et émettent des particules polluantes dans l’environnement. Le domaine de la promotion de la santé peut jouer un rôle crucial pour guider les Canadiens, les organisations et les preneurs de décisions vers l’amélioration de notre environnement et de notre santé. Par exemple, on peut identifier les effets néfastes sur la santé causés par la dégradation environnementale, encourager le transport collectif et actif, ou faire pression pour l’adoption de politiques qui respectent l’environnement et la santé. Pederson a mentionné que ce sera le travail de la prochaine génération, essentiel pour la survie de l’espèce humaine. 
 
Toutefois, ceci ne peut se produire sans une participation active de nos jeunes. Engager les jeunes dans la promotion de la santé a été souvent identifié comme un défi du futur pour la promotion de la santé. Par contre, pour y arriver, la pratique devra redéfinir sa perception de la sagesse et des connaissances. « Nous devons nous séparer de cette mentalité que l’âge, l’expérience, les grades universitaires et les certificats équivalent à des connaissances » explique Norman. « Si en effet, il y a beaucoup d’expérience et de sagesse chez une personne qui travaille dans le domaine depuis 30 ans, la réalité c’est qu’il y a aussi de la place pour le renforcement des connaissances entre les jeunes professionnels et les professionnels plus âgés. Je pense que toute relation de mentorat a besoin de réciprocité. On en parle, mais on ne le met pas en pratique », confesse Norman! 
 
Par exemple, les Premières Nations en Amérique du Nord appartiennent à la génération la plus éduquée et la plus diverse au point de vue ethnoculturel présentement sur le marché du travail. Grâce aux efforts de promotion de la santé des générations précédentes, les Premières Nations ont été éduquées avec la préoccupation du recyclage et les concepts de changements climatiques. Ils ont grandi avec la technologie avancée, et dans la plupart des cas, ils font partie de ceux qui la développent. Tenant compte de la prévalence croissante de la promotion de la santé et de concepts intersectoriels, les Premières Nations possèdent des expériences et des perspectives extrêmement valables pour faire avancer ce domaine de la promotion de la santé. À partir du travail réalisé à la base par les praticiens, ils ont fait un immense pas en avant. 
 

Références

O’Neill, M., Dupéré, S., Pederson, A., et Rootman, I. (2006). Promotion de la santé au Canada et au Québec, perspectives critiques. Laval : Les Presses de l’Université Laval. 
 
Poland, Blake (2007). Health Promotion in Canada: Perspectives & Future Prospects. Revista Brasileira em Promoção da Saúde, vol. 20, núm. 1, p. 3 - 11. Retrieved from: http://www.redalyc.org/pdf/408/40820102.pdf 
 
Santé Canada. (1997). La promotion de la santé au Canada: étude de cas. Ottawa, ON. http://publications.gc.ca/collections/Collection/H88-3-30-2001/pdfs/other/hpc_f.pdf
 
Santé Canada. (2009). Compréhension des conséquences des changements climatiques sur la santé. http://www.hc-sc.gc.ca/ewh-semt/climat/impact/index-fra.php 
 
Santé nationale et du Bien-être social. (1974). Nouvelle perspective de la santé des canadiens (rapport Lalonde). http://www.hc-sc.gc.ca/hcs-sss/com/fed/lalonde-fra.php
 



Pascale Leclair-Roberts a travaillé chez Nexus Santé dans le cadre de ses études de maîtrise dans le domaine de la promotion de la santé. 
 



Pour la rédaction de cet article, des chefs de file en promotion de la santé ont été interviewés: Sophie Dupéré, Ph. D., professeure adjointe, Faculté des sciences infirmières, Université Laval; Suzanne Jackson, Ph. D., professeure agrégée, Dalla Lana School of Public Health, Université de Toronto; Irving Rootman, Ph. D., expert-conseil en matière de promotion de la santé; Ann Pederson M.Sc., candidate au doctorat, directrice, Promotion de la santé, BC Women’s Hospital; Paola Ardiles, M.Sc.S., fondatrice, Bridge For Health; Cameron Norman, Ph.D.,directeur, CENSE Research + Design


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