Quand l’autre souffre, être témoin…

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Par Yves Rochette, intervenant en soins spirituels - 1er décembre 2015
Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale
 
Aujourd’hui, comme à chaque semaine depuis deux mois, même jour, même heure, même scénario... Je sors de ma voiture, je sonne... Deux chiens explosent à l’intérieur de la maison. Un gigantesque et l’autre minuscule. Évidemment, le plus bruyant n’est pas celui auquel je m’attends! Julie (nom fictif) ouvre la porte avec difficulté, embarrassée par la surprotection de la gent canine, mais surtout parce que le cancer semble maintenant déterminé à avoir le dessus.
 
Nous nous assoyons, ralentis, à la table de la cuisine. J’écoute avec attention Julie qui parle de sa lutte, de ses incompréhensions, du non-sens, mais aussi de son envie de vivre et de son espérance têtue! Sa ténacité et sa vulnérabilité m’émeuvent. Elle dit que sa trentaine aurait dû être occupée par les soins de sa famille, de sa maison, de son travail. Je suis bien d’accord…
 
C’est son intérêt pour la méditation qui a attiré l’attention de la travailleuse sociale de l’équipe de soins palliatifs du CLSC dont je fais partie. Bien qu’au départ Julie n’ait pas très bien saisi le rôle d’un intervenant en soins spirituels, elle accepte d’être accompagnée. Après quelques entrevues, elle n’est plus dans les questionnements du début où elle se demandait : « De quoi parle-t-on dans un accompagnement spirituel? » Elle sait dorénavant que les rencontres se passent dans le calme et que notre attention est portée sur sa quête spirituelle, inaugurée le jour de l’annonce de sa maladie, il y a 10 ans. Dans nos rencontres, Julie accepte de se prêter à un exercice : elle mettra sur la table tous les livres qu’elle considère comme parlant de sa spiritualité. À travers ceux-ci, elle questionne la foi de son enfance et y intègre une réflexion d’adulte. Elle parle aussi d’influences spirituelles plus récentes dans sa vie. Julie cherche activement un sens, des sources d’espoir, de la paix... À sa demande, elle se laisse guider dans des méditations. Elle s’étonne de sa capacité à tourner son regard vers l’intérieur. Elle exprime le désir d’une plus grande liberté. 
 
En terminant l’entrevue, comme la plupart du temps, je laisse Julie calme, apaisée par l’expérience de la rencontre, nourrie à même sa recherche d’authenticité. Dans un élan de gratitude, elle reprend les mots de son conjoint qui parlent du travail exceptionnel de toute l’équipe des soins palliatifs. À mon agenda, j’inscris notre prochain rendez-vous. « On se revoit dans sept jours. Bonne semaine! » Une rencontre qui n’aura jamais lieu… 
 
Mon téléavertisseur sonne. C’est une infirmière de l’unité de médecine. Elle demande « les soins spirituels » pour une jeune patiente qui vient d’être admise. Sa famille est auprès d’elle. C’est Julie (!) que j’ai vue il y a trois jours à peine! J’arrive à la chambre. Elle est inconsciente, déjà! Son conjoint, son fils et sa famille sont à son chevet. Pour la première fois dans cette tâche que je partage entre l’hôpital et l’équipe des soins palliatifs en CLSC, j’ai à intervenir auprès d’une famille dont l’histoire m’est familière. Je suis ému plus que je ne le voudrais… Nous vivons un rituel de fin de vie inspiré du courant de la tradition chrétienne. La rencontre est chargée d’émotion. Il y a de l’amour dans l’air, comme on dit! Celui de Julie, celui de son conjoint, de son fils, de ses proches, celui de Dieu. Aucun geste n’est perdu; chaque mot, chaque image portent leur poids dans cet espace sacré fait de tristesse et de tendresse… 
 
J’écris ces mots pour témoigner de l’expérience inattendue de cette jeune femme qui ignorait son courage. À la mémoire de celles et de ceux dont nous sommes les témoins, qui souffrent en portant une réelle envie de vivre, jusqu’au bout! Salut Julie…
 



Le Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) assure le fonctionnement au quotidien des services de soins spirituels répartis dans plus de 30 sites du réseau de la santé et des services sociaux de la ville de Québec et de ses environs. Il est constitué d’une quarantaine d’intervenants et d’intervenantes en soins spirituels.

Le CHU de Québec-Université Laval est l’établissement fiduciaire. À ce titre, il a la responsabilité d'administrer les ressources humaines et financières du CSsanté.



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