La résistance aux antimicrobiens (RAM) constitue un problème de santé publique mondial. Une publication récente rapportait qu’en 2019, plus de 1,2 millions de décès à travers le monde étaient directement attribuables à l’antibiorésistance (The Lancet, 2022). Au Canada, selon un rapport d’un groupe d’experts du Conseil des académies canadiennes, 26 % des infections bactériennes chez les humains étaient résistantes aux antimicrobiens de première intention en 2018.
La Semaine mondiale d’information sur la résistance aux antimicrobiens a lieu chaque année du 18 au 24 novembre. Elle vise à mieux faire connaître et à comprendre le problème de la résistance aux antimicrobiens ainsi qu’à promouvoir les meilleures pratiques dans le but de réduire l’émergence et la propagation d’infections pharmacorésistantes.
Le phénomène de résistance survient lorsque les bactéries, les virus, les champignons et les parasites ne répondent plus aux agents antimicrobiens. En raison de la résistance aux médicaments, les antibiotiques et autres agents antimicrobiens deviennent inefficaces et les infections deviennent difficiles, voire impossibles, à traiter.
Ceci contribue à augmenter la morbidité et la mortalité associées ainsi qu’à augmenter les coûts de santé et la durée des traitements.
Une utilisation judicieuse et appropriée des antimicrobiens permet de réduire l’émergence de la résistance.
Actions du CHU de Québec-Université Laval (CHU)
Le comité d’antibiogouvernance du CHU fait le suivi de la consommation de certains antibiotiques pour cibler les interventions pertinentes qui pourraient contribuer à prévenir ou à réduire la résistance aux antibiotiques et en favoriser l’usage optimal.
À l’automne 2023, l’ordonnance individuelle standardisée (OIS-P) de neutropénie fébrile a été modifiée. Afin de diminuer l’utilisation des carbapénèmes et l’émergence des carbapénémases, la pipéracilline-tazobactam figure maintenant comme traitement de première intention en remplacement du méropénème. Ce changement a entraîné une diminution importante de la consommation de méropénème à L’Hôtel-Dieu de Québec et à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus pour l’année 2023-2024.
Bien qu’elle devrait être réservée aux infections sévères ou causées par des bactéries multi-résistantes, la pipéracilline-tazobactam est un antibiotique à large spectre dont la consommation est élevée et en augmentation au CHU depuis plusieurs années.
En 2023, l’amoxicilline-clavulanate administrée par voie intraveineuse a été ajoutée au formulaire des médicaments du CHU. Il s’agit d’un antibiotique pouvant remplacer adéquatement la pipéracilline-tazobactam dans le traitement de certaines infections légères à modérées chez des patients dont l’état clinique est stable et où une couverture élargie des bacilles Gram négatif n’est pas requise.
Privilégier l’amoxicilline-clavulanate pour le traitement de certaines infections, comme la pneumonie d’aspiration acquise en communauté et les infections intra-abdominales légères à modérées acquises en communauté, pourrait contribuer à prévenir l’émergence de la résistance antimicrobienne à long terme.
L’amoxicilline-clavulanate ne devrait cependant pas remplacer l’ampicilline pour le traitement d’infections causées par des bactéries sensibles à cette dernière. Pour plus de détails sur ce sujet, consultez le bulletin sur l’amoxicilline-clavulanate par voie intraveineuse.
Les fluoroquionolones sont une autre classe d’antibiotiques à large spectre dont la consommation est en hausse dans certains hôpitaux du CHU. La résistance à la ciprofloxacine par la bactérie Escherichia coli a augmenté dans les dernières années (antibiogrammes cumulatifs). Il est important de rappeler que la ciprofloxacine n’est pas un traitement de première intention pour la cystite non compliquée. En l’absence de contre-indication, des antibiotiques à spectre plus étroit, comme le triméthoprime-sulfaméthoxazole et la nitrofurantoïne, devraient être privilégiés.
Pour plus de détails sur ce sujet, consultez le Guide de traitement empirique des infections urinaires du CHU.
En ce qui concerne le traitement de la pneumonie acquise en communauté, la combinaison ceftriaxone et doxycycline demeure l’option de traitement à privilégier par rapport à la lévofloxacine et à la moxifloxacine pour contribuer à réduire la résistance aux fluoroquinolones.
Antibiorésistance et histoire d’allergie à la pénicilline
Environ 10 % des patients déclarent une allergie à la pénicilline. Cependant, lorsqu’elles sont correctement évaluées, on constate que 90 % de ces patients ne sont pas réellement allergiques à la pénicilline. Une étiquette d’allergie mal documentée peut priver les patients d’un traitement de première intention à base de pénicilline.
Les antimicrobiens de deuxième intention, auxquels on a recours lorsqu’une personne est allergique à la pénicilline, ont été associés à une efficacité moindre, à davantage d’effets indésirables ou à des durées d’hospitalisations plus longues. Ces antibiotiques de remplacement comprennent souvent des antimicrobiens à plus large spectre, notamment les carbapénèmes.
Nous nous sommes intéressés à l’impact qu’a une mention d’allergie à la pénicilline dans le dossier médical sur le choix de l’antibiotique pour le traitement de la pneumonie acquise en hôpital dans le CHU.
Les dossiers de 307 patients traités pour une pneumonie acquise à l’hôpital dans les cinq hôpitaux du CHU ont été révisés entre le 1er janvier 2021 et le 31 mars 2022. Des mentions d’allergie à la pénicilline ont été trouvées chez 27 des 307 patients (8,8 %).
Nous avons pu constater que la présence d’une mention d’allergie à la pénicilline dans le dossier médical est associée à une probabilité presque huit fois plus importante d’utiliser un carbapénème en première intention, en comparaison avec les patients pour qui on ne trouve pas cette mention.
D’autres antibiotiques à spectre approprié pour la pneumonie nosocomiale, comme une céphalosporine de troisième génération ou une fluoroquinolone, pourraient être considérées en présence d’allergie à la pénicilline; les cliniciens n’y ont toutefois pas eu très fréquemment recours pour la période à l’étude.
Nous avons également observé que la nature des allergies à la pénicilline est très mal documentée dans les dossiers médicaux : aucun détail sur la réaction ne se trouvait dans 26,9 % des cas. Dans seulement 7,7 % des cas où une mention d’allergie à la pénicilline était présente au dossier, il a été possible de retracer des informations sur la nature de la réaction (rash, démangeaisons…), sa sévérité (besoin de consulter à l’urgence, problème qui s’est résolu de lui-même après quelques heures…) et le moment auquel est survenue la réaction (il y a 20 ans, dans le dernier mois…). Souvent, une seule de ces caractéristiques était mentionnée dans le dossier médical.
En conclusion, nos résultats indiquent que :
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La présence d’une mention d’allergie à la pénicilline dans un dossier médical peut mener à la prescription d’un carbapénème, un type d’antibiotique qui devrait être réservé au traitement des infections à germes résistants ou aux patients dont l’infection est plus sévère;
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La mention d’allergie à la pénicilline est souvent mal documentée, et probablement qu’une proportion significative des patients ne sont pas réellement allergiques à la pénicilline.
Antibiogouvernance en pédiatrie
Depuis 2022, un comité d’antibiogouvernance pédiatrique a été créé. Ce comité a mis en place des tournées d’antibiogouvernance en utilisant le handshake stewardship. Ce concept, provenant des États-Unis et de l’Ontario, consiste en une brève rencontre avec les équipes médicales afin de discuter des patients qui reçoivent des antibiotiques sur les étages de médecine pédiatrique.
Ces discussions favorisent surtout l’enseignement auprès des étudiants en abordant différents sujets, dont les investigations médicales pertinentes, afin de préciser le diagnostic infectieux, le choix d’antibiotique approprié, les durées de traitement et les doses optimales à utiliser. Les infections typiques en pédiatrie, telles que la pneumonie, l’otite, la sinusite et l’infection urinaire, sont principalement discutées dans le but de favoriser l’usage optimal des antibiotiques pour ces indications.
Le comité d’antibiogouvernance pédiatrique a également participé à la création de différents guides de traitement qui sont actuellement en révision, tels le guide de traitement de la fièvre chez le nouveau-né à l’urgence ainsi qu’un tableau de référence sur les doses et durées de traitement optimales des antibiotiques oraux les plus fréquemment prescrits en pédiatrie.
En cette Semaine mondiale de sensibilisation, nous vous encourageons tous à vous renseigner sur la résistance aux antimicrobiens et à son impact sur notre santé.
Ce problème nous concerne tous; ensemble, protégeons l’avenir des soins de santé!