Pourquoi parler de civilité et de respect dans un monde où on semble se répondre plus facilement que l’on ne s’écoute? Pourquoi devrait-on encore promouvoir et exiger la civilité de ses collègues quand la liste des insultes qui sont échangées entre élus de la chambre des communes ne cesse de s’allonger? Pourquoi promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion quand la télé nous ramène en boucle les propos racistes, intolérants et sexistes de hauts dirigeants internationaux?
C’est à croire que l’attaque personnelle ou que la réaction bruyante et éclatante devant un public pris à partie est valorisée et encensée. Comment remettre au centre de nos relations, l’autre (patient ou collègue) qui a droit, tout comme moi, au respect et à un environnement de travail agréable?
L’incivilité coûte cher
Une incivilité est un manquement aux règles qui encadrent les comportements favorisant des relations interpersonnelles harmonieuses et productives au bénéfice de tous les membres d’un groupe.
Selon Christine Porath, professeure de management à la McDonough School of Business de l’Université de Georgetown, un lieu de travail où l’incivilité est omniprésente réduit l’attention des employés, interrompt le traitement des informations, limite les capacités de résolution de problème et entraîne des erreurs.
Une étude que la professeure Porath a menée révèle que le ton des interactions sur le lieu de travail peut clairement nuire aux performances. Face à des attitudes inciviles, 66 % des gens réduisent leurs efforts, 80 % perdent du temps à se soucier de ce qui se passe (ça fait beaucoup de temps à discuter ou à ruminer plutôt qu’à travailler!) et 12 % des gens quittent leur emploi.
Victimes collatérales
L’incivilité peut également avoir des résultats néfastes sur tous les lieux de travail, voire des conséquences mortelles dans un cadre médical.
Dans une étude réalisée auprès de 4 500 médecins et infirmières, 27 % des répondants ont constaté un lien entre l’incivilité et le décès de patients, tandis que 71 % d’entre eux associaient l’incivilité et les erreurs médicales (Porath, 2016).
L’incivilité réduit les ressources cognitives, les performances et la créativité. Même si vous voulez donner le meilleur de vous-même, vous ne le pouvez pas.
Et il n’y a pas que les victimes directes de l’incivilité qui en subissent les effets néfastes. Être témoin de gestes, d’attitudes, de paroles ou d’écrits irrespectueux laisse ses traces et fait des ravages.
La professeure Porath décrit l’incivilité comme un virus : nous en devenons porteurs rien qu’en étant proche. En effet, les témoins deviennent 25 % moins performants après avoir entendu un individu qui dénigre le travail d’un collègue.
Comment réagissez-vous face à l’incivilité?
Les raisons pour lesquelles nous devrions éviter les gestes, paroles ou attitudes inciviles dans la mesure du possible sont maintenant claires. Mais il faut aussi se rendre à l’évidence que l’incivilité ne disparaîtra jamais complètement. C’est pourquoi il importe de bien s’outiller pour réagir adéquatement dans des situations semblables.
L’incivilité est effectivement présente dans tous les milieux de travail et peut être commise de manière consciente ou inconsciente. D’ailleurs, la plupart des individus vivraient une trentaine de situations frustrantes chaque jour qui pourraient devenir problématiques si elles ne sont pas bien gérées (Maravelas, 2020).
Mais les gestes incivils n’ont pas le même effet sur toutes les personnes. Par exemple, quelqu’un qui envoie un message texte tout en vous parlant peut vous choquer, mais en laisser d’autres indifférents. Selon Anna Maravelas, dans son livre Creating a Drama-free Workplace, c’est l’attitude face à la frustration qui détermine votre capacité à réagir au conflit.
Face à un conflit ou à un problème, nous réagissons selon l’une des trois hypothèses suivantes : accuser les autres, culpabiliser ou analyser la situation.
-
Accuser les autres : vous pensez que les autres sont responsables de l’échec et vous les considérez comme la source de tout problème. Il se peut que vous vous sentiez submergé par les émotions. La colère vous pousse alors à entrer en conflit avec une autre personne ou une autre équipe, et vous êtes d’autant plus tenté de trouver des gens qui partagent et valident votre point de vue. Cela peut entraîner des échanges belliqueux au cours desquels vous accusez l’autre d’incompétence ou de manque de professionnalisme. Même si vous vous sentez dynamisé par ce conflit, cette attitude a des conséquences négatives, notamment une rupture de relations qui pourrait porter préjudice à votre travail, voire à votre carrière.
-
Culpabiliser : vous vous sermonnez, vous vous reprochez de ne pas avoir anticipé la situation qui vous a amené à croiser le fer. Vous vous sentirez peut-être malheureux et prompt à dénigrer vos compétences et vos qualités relationnelles.
-
Analyser la situation : contrairement aux deux réactions « réflexes » précédentes, une réaction « réfléchie » vous permet de vous concentrer sur le contexte, la situation ou le cadre d’un problème plutôt que sur les personnes impliquées. Vous ressentez alors le besoin d’échanger avec d’autres afin de solliciter leur opinion sur la manière de résoudre le problème. Mais attention de choisir la bonne personne qui sera impartiale et pourra vous aider à voir clair dans la situation. L’idée n’est pas de trouver des excuses ou de colporter votre situation à d’autres personnes pour « mettre des gens de votre côté », mais de tenter de trouver des explications et des pistes de solutions concrètes. Dans ce contexte, votre gestionnaire ou la personne responsable de la politique en matière de promotion de la civilité sont des ressources à privilégier (civilite@chudequebe.ca).
Mme Maravellas nous encourage à devenir un « Nelson Mandela » qui a choisi d’améliorer le système plutôt que de prendre sa revanche et de stigmatiser des individus.
Dans son livre Wait, I’m Working With Who?!?, Peter Economy donne quelques judicieux conseils pour réagir à l’incivilité dont nous pourrions être témoin :
-
S’habiliter à repérer et à gérer les comportements, paroles et attitudes qui dérangent pour contrecarrer leur nuisance.
-
Dénoncer les mauvais comportements. La première étape est d’en parler à l’offenseur (sinon comment pourrait-il savoir que le texto envoyé lorsque vous lui parliez vous a froissé?).
-
Rester objectif, ne pas céder aux réactions émotives. Prendre du recul sur l’interaction et empêcher l’offenseur de vous manipuler.
-
Désamorcer le conflit avant qu’il ne s’aggrave et ne détruise l’harmonie dans l’environnement de travail.
-
Faire la distinction entre une infraction grave et un désagrément mineur.
-
Si vous pensez que votre comportement gêne vos collègues, demandez-leur du feedback.
La civilité, ça paye!
Agir de manière civile est rassembleur et motivant en plus d’augmenter la performance de son équipe et de maintenir un climat de travail sain et respectueux. Dans des environnements civils, on est plus créatif, plus productifs, on se sent utiles et heureux.
Ceux qui se sentent respectés sont 56 % en meilleur santé, 92 % plus concentrés, 1,1 fois plus susceptibles de rester dans l’organisation et 55 % plus engagés (Portah, 2016). Ceux qui sont perçus comme civils sont deux fois plus susceptibles d’être vus dans un rôle de chef.
Même si les gens sont impressionnés par ceux qui parlent haut et fort, nous sommes tous attirés par les gens qui présentent une combinaison de cordialité et de compétence, de sympathie et d’intelligence (Porath, 2016).
Alors, par où commencer?
On ne le dira jamais assez : la civilité, c’est une responsabilité partagée. Comme le disait Héraclite, les yeux sont des témoins plus fidèles que les oreilles. Il suffit donc de petits gestes pour faire une différence. Remercier les gens, dire bonjour quand on se croise dans le corridor, partager le mérite, écouter l’autre attentivement quand il vous parle, poser humblement des questions, reconnaître les autres et sourire ont un impact plus grand qu’on pense.
Tout ça ne vous empêche pas d’avoir des opinions tranchées, d’être en désaccord, de vivre un conflit ou donner votre avis même s’il est négatif, tant que c’est fait avec civilité et respect.
Si vous êtes témoin ou victime de comportements incivils, n’hésitez pas à en parler à votre gestionnaire ou à écrire à la boîte courriel civilite@chudequebec.ca.
Références :
-
PORATH, Christine, 2016, Mastering Civility, A Manifesto for the Workplace, Grand Central.
-
MARAVELAS, Anna, 2020, Creating a Drama-Free Workplace, The Insider’s Guide to Managing Conflict, Inciviliy & Mistrust, Career Press.
-
ECONOMY, Peter, 2021, Wait, I’m Working with Who?!?, the Essentieal Guide to Dealing with Difficult Coworkiers, Annoying Manager, and Other Toxic Personnalities, Carreer Press.