Certaines personnes développent des problèmes de santé mentale à la suite d’un événement traumatique, ou traumatisme psychologique, alors que d’autres s’en sortent indemnes. Qu’est-ce qui explique cette différence et quels sont les mécanismes en cause? C’est ce que tente de comprendre Jessica Deslauriers, chercheuse de l’axe Neurosciences au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval et professeure adjointe à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval.
Jessica Deslauriers et son équipe étudient les mécanismes de vulnérabilité ou de résilience ou, autrement dit, les éléments qui font qu’une personne est à risque, ou pas, de développer un problème de santé mentale, et plus particulièrement un trouble de stress post-traumatique, après avoir vécu un important choc psychologique.
C’est notamment la piste de l’inflammation que la Pre Deslauriers suit pour mener ses recherches, puisque lorsqu’un traumatisme psychologique survient, il provoque nécessairement une réponse physiologique inflammatoire. Ainsi, en contexte de grand traumatisme, les cellules du cerveau libèrent des substances inflammatoires capables de traverser la barrière hémato-encéphalique pour se rendre jusque dans le sang. « Nous analysons les mécanismes inflammatoires du sang et du cerveau, ainsi que le rôle de la barrière hémato-encéphalique dans l’interaction entre les deux systèmes afin de trouver des biomarqueurs1 sanguins qui correspondraient aux symptômes psychiatriques de la détresse psychologique et du trouble de stress post-traumatique. »
De façon générale, dans la dynamique du trouble de stress post-traumatique, les symptômes n’apparaissent que de trois à six mois après l’événement. Cependant, un état de stress aigu est présent pendant les 72 premières heures suivant le choc psychologique et, selon la Pre Deslauriers, c’est cette « fenêtre critique » qui pourrait fournir des informations clés sur le risque de développer des symptômes du trouble de stress post-traumatique.
La psychiatrie se basant essentiellement sur les symptômes pour poser des diagnostics, la découverte de biomarqueurs comblerait un vide et permettrait d’améliorer la prévention ainsi que les traitements offerts. « Par exemple, en présence de biomarqueurs inflammatoires, on pourrait utiliser des traitements à faible dose pour tempérer la réponse inflammatoire durant la phase aiguë du choc traumatique et ainsi prévenir l’apparition des symptômes du trouble de stress post-traumatique. »
Si certains croient que le risque de développer un problème psychiatrique provient d’abord du cerveau, la Pre Deslauriers est plutôt de ceux qui pensent qu’il s’agit avant tout d’une réaction physiologique : « selon moi, la réponse inflammatoire à un traumatisme psychologique part du système périphérique, puis l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique est rompue, ce qui permet le passage de l’inflammation jusqu’au cerveau. C’est à ce moment que les symptômes psychiatriques se développent. Ce serait d’ailleurs un avantage si cette hypothèse s’avère valide, car il serait ainsi beaucoup plus facile de les prévenir. »
En effet, l’identification de biomarqueurs représentatifs de changements cérébraux, mais accessibles grâce à un prélèvement de sang, permettraient l’instauration d’outils de diagnostic mesurables de manières non invasive.
Du laboratoire…
Les mécanismes inflammatoires sont étudiés lors de diverses expériences précliniques par la Pre Deslauriers et son équipe. En laboratoire, un contexte de traumatisme psychologique est recréé chez des souris, puis la séquence des événements physiologiques provoqués par le traumatisme est décortiquée. Des prélèvements sanguins sont effectués avant et après l’épisode traumatique, tandis que l’inflammation dans le cerveau et l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique sont scrutées par immunofluorescence2. Dans certaines études, la pression artérielle est aussi mesurée afin de voir comment elle influence la réponse inflammatoire au traumatisme. « Il y a parfois un lien entre les deux : une première réaction peut en entraîner une deuxième, et ainsi de suite, en cascade. L’intensité de la réponse va varier d’un individu à l’autre, et c’est notamment cette intensité qui va déterminer comment les réactions s’enchaînent. »
…aux essais cliniques
Les expériences menées en laboratoire par l’équipe de la Pre Deslauriers servent de base à ses études cliniques, comme celle portant sur la détresse psychologique chez les travailleurs de la santé dans le contexte de la COVID-19. Le but de la recherche est, ici aussi, de trouver des biomarqueurs de pronostic, de diagnostic, mais aussi de risque de développer un trouble de stress post-traumatique.
Une vingtaine d’infirmières et infirmiers, de médecins, d’inhalothérapeutes, d’ergothérapeutes et de physiothérapeutes du Centre mère-enfant Soleil du CHUL ont participé à cette recherche clinique. Pour être admissibles à l’étude, ils devaient travailler directement avec des patients en zone froide (patients non-COVID) et ne devaient pas avoir été atteints par le virus. En effet, celui-ci provoque déjà une réponse inflammatoire et peut également jouer sur l’intensité du stress perçu dans le cadre du travail (une personne qui a déjà été infectée peut se sentir immunisée ou, au contraire, avoir très peur de l’être à nouveau), ce qui aurait pu biaiser les résultats.
Les données ont été recueillies au cours de trois visites réparties sur un an. Lors de celles-ci, des prises de sang étaient effectuées et les participants devaient répondre à trois questionnaires (perception du stress selon les mesures mises en place par l’établissement de santé, détresse psychologique et anxiété, historique des traumatismes psychologiques vécus). « Nous avons par exemple mesuré l’intensité du stress en questionnant les participants sur la peur de contracter le virus et de le transmettre aux membres de leur famille. »
Au-delà de la COVID
L’analyse des données recueillies pendant cet essai clinique est en cours. Les résultats permettront de poser des hypothèses à plus grande échelle pour suivre les symptômes de trouble de stress post-traumatique chez les personnes pratiquant un métier à risque, comme les militaires et les intervenants des services d’urgence. Éventuellement, avec plus de données, il sera possible de préciser les risques de développer une détresse psychologique ou des symptômes post-traumatiques selon diverses variables comme le sexe, la spécialité ou encore le département dans lequel la personne travaille.
Que le traitement du trouble de stress post-traumatique se fasse par médication et/ou par psychothérapie, son efficacité demeure limitée, notamment pour traiter les symptômes spécifiques, comme les cauchemars, l’évitement et les flash-backs. Avec comme but d’identifier des biomarqueurs de risque, la perspective est donc de prévenir au lieu de guérir.
« Notre objectif, c’est que lorsqu’une personne se présente à l’urgence à la suite de n’importe quel événement traumatique, il soit possible de déterminer si elle va développer des symptômes de stress post-traumatique à partir d’une simple prise de sang », conclut la Pre Deslauriers.
- Biomarqueur : « Tout changement cellulaire, moléculaire, chimique ou physique qu’on peut mesurer et employer pour étudier un processus normal ou anormal qui se déroule dans le corps. Les biomarqueurs permettent de vérifier le risque d’apparition d’une maladie, la présence d’une maladie, l’évolution d’une maladie ou bien les effets d’un traitement. L’antigène prostatique spécifique (APS) peut servir de biomarqueur pour le cancer de la prostate et le taux de sucre sanguin peut permettre de surveiller un diabète. », Société canadienne du cancer.
- Immunofluorescence : technique d’imagerie utilisant des anticorps et des substances fluorescentes afin de détecter la présence et la localisation de certaines protéines dans les cellules.