Entrevue avec Dominique Fils-Aimé, autrice, compositrice et interprète

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Crédit photo : Jetro Emilcar

Un baume à l’âme



Propos recueillis par Claudette Lambert — 1er avril 2024

Dominique Fils-Aimé est l’une des révélations artistiques marquantes des dernières années. Avec sa voix unique, ses textes engagés et son univers musical intimiste, elle crée un espace de rêve et de paix intérieure. Lauréate d’un prix JUNO et d’un FÉLIX, ses trois premiers albums constituent une trilogie inspirée par l’histoire de la musique afro-américaine, reflet des réalités sociales à la source du blues, du jazz et de la soul. Elle nous parle ici de l’impact de la musique sur le bien-être et les émotions, et de son désir de rendre les gens apaisés et heureux en les faisant entrer avec elle dans les profondeurs de l’âme.

 
Claudette Lambert : Vous êtes née à Montréal, de descendance haïtienne, et vous avez grandi dans une famille où la musique avait une place de choix. Portez-vous toujours en vous les traces de vos origines ?
Dominique Fils-Aimé : Oui, mais je considère que j’ai été élevée dans la notion de citoyenne du monde, dans le sens où le concept de frontières, de limites ou de nationalisme ne m’a jamais vraiment interpellée. Ayant eu la chance de côtoyer en grandissant, autant des Haïtiens que des Québécois ou des Arabes, j’ai été exposée à plusieurs cultures différentes. Comme beaucoup de jeunes qui ont des origines d’ailleurs et qui ont grandi ici, on devient une combinaison de plusieurs choses qui composent une identité assez singulière. Mes valeurs sont autant liées au pays qu’aux personnes que sont mes parents et mes grands-parents. La compassion, l’entraide sociale, la notion de communauté et l’envie de justice sont des valeurs qui étaient propres à ma famille.
 
En 2015, vous avez séduit le public et le jury à l’émission La Voix. Qu’est-ce qui vous a incitée à participer à cette émission ?
D.FA. : J’ai toujours beaucoup aimé la musique, mais mon médium principal a généralement été le dessin et la peinture. Même si la musique était très présente à la maison, je n’ai pas développé ça plus jeune, j’étais davantage attirée par tous les arts visuels. Quelque temps avant de participer à La Voix, j’avais commencé à apprécier un peu plus le fait de chanter ; je fréquentais le milieu musical et je trouvais que c’était un défi intéressant. C’était aussi une opportunité d’aller vers quelque chose qui me faisait peur. Quand quelque chose m’effraie, j’ai tendance à vouloir l’affronter afin de déconstruire cette peur, parce que chaque fois que l’on confronte une crainte, on s’aperçoit à quel point celle-ci est toujours plus grande dans notre tête que dans la réalité. J’adore ça, je suis « addict » à ce genre de défi qui me donne le sentiment d’avoir surmonté quelque chose et d’avoir effacé une partie de ces effrois qui existent en moi.
 
Que retenez-vous de cette expérience ?
D.FA. : Les gens parlent beaucoup d’une grosse machine, mais moi j’ai surtout retenu les humains derrière tout ça. Être entourée de personnes, que ce soient les participants ou les employés, m’a permis de faire plusieurs belles rencontres. C’est ce qui reste dominant pour moi. Malgré le fait que j’aie été plongée dans le contexte d’une énorme machine, le contact avec les gens m’a rassurée et je me suis dit que j’avais peut-être ma place dans cet univers et la capacité d’aller à la découverte d’un monde qui peut être intense et qu’on ne connaît pas vraiment. Depuis, j’ai eu la chance d’être bien entourée.
 
Depuis La Voix, votre carrière a connu une belle ascension. Vous n’avez pas étudié le chant, vous avez une voix naturelle, un joyau en quelque sorte. Encore faut-il l’entretenir et la développer…
D.FA. : La voix est un outil, mais en réalité c’est surtout la façon dont nous nous en servons qui aura un impact. À partir du moment où j’ai vraiment assumé le fait d’utiliser ma voix sans essayer d’être autre chose, de comprendre comment je peux transmettre des émotions et des fréquences à travers elle, j’avais trouvé ma place. Car c’est ça en fait chanter, la musique en général ce sont des fréquences, donc on peut être habité d’émotions et réussir à les transmettre. L’idée était de créer le contact le plus direct possible entre ce que je ressens et ce qui sort comme note de moi. Et c’est à partir du moment où j’ai approché le chant dans cette optique-là que mon instrument s’est vraiment ouvert et a commencé à avoir une plus grande amplitude potentielle. Quelque chose s’est débloqué. J’ai de la gratitude envers mes ancêtres qui me guident encore aujourd’hui, pour toutes ces énergies qui m’accompagnent.
 
Dans vos spectacles, comment arrivez-vous à rester branchée sur l’intérieur, sur les émotions ?
D.FA. : J’ai toujours été quelqu’un d’hypersensible. À partir du moment où j’ai trouvé un contexte dans lequel je pouvais créer librement, ce que l’art permet de faire, j’ai vraiment pu m’abandonner à cette connexion et entrer à fond dans la manière dont je voulais utiliser la musique pour partager de bonnes énergies et donner un peu de bien-être, un petit baume à l’âme autant que possible. La musique a ce pouvoir-là et c’est assez magique ! Je me rendais compte que si elle me faisait du bien à moi, elle pouvait aussi faire du bien à d’autres personnes. En restant connectée avec ce que j’ai en profondeur, j’ai vu que ça rejoignait d’autres gens qui vibraient dans les mêmes fréquences, qui vivaient un genre de parcours similaire.
 
Avant de faire de la musique et d’en réaliser une carrière, vous avez étudié en psychologie et travaillé comme soutien psychologique pour des employés de grandes entreprises. C’était un beau métier pour vous ?
D.FA. : Non, ce n’était pas pour moi. Ça m’a aidée à mieux comprendre quelle mission je voulais me donner dans la vie. J’ai toujours su que j’aimerais pouvoir apporter quelque chose de positif aux gens autour, offrir du réconfort, du bien-être. Le côté guérisseur a toujours été très présent dans ma famille, mais étant trop sensible, ce travail de psychologue n’était pas pour moi. Être confrontée aux difficultés des employés que je tentais d’aider m’était très difficile. Je voyais bien que beaucoup de mes collègues avaient cette capacité à se détacher, à prendre de la distance par rapport aux problèmes d’autrui. Moi je n’y arrivais pas, j’étais trop impliquée. C’est là que j’ai réalisé qu’en faisant de la musique je pouvais faire la même chose, aider les gens, mais d’une manière différente qui me donnait du bien-être en même temps qu’aux autres ? Vivre cette période-là m’a complètement atterrée, mais je ne regrette rien, j’en avais besoin pour devenir qui je suis aujourd’hui, ça fait partie de mon processus. Je devais passer par là pour définir mes limites. Je sais ce que je veux faire, je dois le faire dans un contexte plus sain pour moi. Je dois avoir quelque chose qui me ressource et qui me permet de continuer à donner ce que j’ai envie de donner. Les arts, c’est vraiment le seul endroit que j’ai trouvé pour être capable de partager à l’infini tout l’amour qui m’habite, mais sans que ça vienne m’épuiser.
 
Billie Holiday, Nina Simonne, Joséphine Baker sont de grandes voix qui vous ont inspirée. Vous étiez jeune quand vous les avez découvertes ?
D.FA. : Oui, assez jeune, j’ai eu la chance d’explorer plusieurs genres musicaux et beaucoup d’artistes. J’ai connecté avec tellement de styles différents et j’ai senti à quel point ce qui venait constamment me chercher, c’étaient les artistes qui faisaient ça du fond de leur âme. Quand ils créaient ou chantaient, on sentait que ça venait des profondeurs, que ce n’était pas forcément cérébral, mais de l’ordre du ressenti, du cœur et de l’âme, et ça c’est quelque chose qui m’a toujours fait un grand bien. La formation académique c’est bien, mais ressentir c’est mieux. Ça m’a enlevé justement ce sentiment d’illégitimité que j’aurais pu resentir de ne pas avoir étudié.
 
L’effet de la musique sur les émotions et le bien-être a quelque chose de très mystérieux. Certaines fréquences peuvent nous transformer en profondeur.
D.FA. : Absolument ! Ça a toujours été quelque chose qui me captivait et je pense que c’est précisément ce qui m’a d’abord orientée vers la psychologie. Le cerveau humain me fascine ainsi que la connexion qu’on n’a pas encore bien établie, mais qu’on ressent. Comment les fréquences musicales peuvent-elles affecter l’âme et le cerveau ? Il devrait y avoir plus d’études sur le sujet, car on le sent et on le sait, mais après, il serait intéressant de pouvoir l’expliquer de manière plus scientifique.
 
Effectivement, la musique peut induire un état de recueillement et toucher les personnes en profondeur. On n’arrive pas à l’expliquer, mais on sait que ça marche.
D.FA. : J’y crois profondément et c’est pour cette raison que j’essaie de créer des environnements de spectacle qui sont comme une méditation pour arriver à transmettre une connexion à plusieurs individus qui vivent les mêmes fréquences en même temps. La musique a définitivement quelque chose de magique qu’on n’a pas encore expliqué. Quand je sens que le courant circule, c’est vraiment un ressourcement au niveau émotionnel et énergétique.
 
Dans votre premier opus en trois volets, vous avez intégré l’histoire des esclaves d’Afrique jusqu’en Amérique. Pourquoi avoir choisi de reprendre l’histoire de votre communauté pour la traduire à votre façon ?
D.FA. : Ce qui m’a interpellée et donné envie de réaliser cette trilogie, c’est que je percevais, à travers la mémoire collective et émotionnelle présente dans ces styles musicaux, les émotions que les gens vivaient, leurs états d’esprit. Les arts nous ont permis de conserver cette mémoire-là et j’avais le désir d’explorer cette partie plus sombre de notre histoire. J’ai donc associé le premier volet de la trilogie à la couleur du blues, la musique des esclaves et de leur misère : les chants des plantations, la nuit, le déracinement. C’est mon interprétation d’une période durant laquelle nous n’étions pas libres.
 
Le deuxième album de ma trilogie nous amène au jazz avec les émotions de révolte. Le rouge, la couleur du feu, de la passion, l’envie de libération, au plan artistique aussi, car le jazz permettait de sortir des lignes de conduite habituelles, de donner le droit de créer comme on voulait et de chercher une liberté sociale.
 
Enfin, j’ai associé le troisième volet à la couleur jaune. Moderne, énergique et plein d’espoir, avec des chansons plus dansantes, mais tout aussi chaleureuses. Le jaune avec le côté plus joyeux et des sujets plus légers, c’était la fête. Je trouvais vraiment intéressant de souligner ce processus au niveau de la progression musicale qui en avait découlé, de voir à quel point les émotions et l’âme sont interreliées dans l’évolution autant spirituelle qu’humaine.
 
Vous évoquez le mot spiritualité, un mot qui peut être entendu de bien des façons. Pour vous, qu’est-ce qu’il signifie ?
D.FA. : Pour moi, c’est la connexion. Il y a deux parties dans notre cerveau, l’une est très pragmatique et l’autre est connectée à quelque chose de plus grand, d’inexplicable et qui me remplit. De la même manière qu’on va au gym pour son corps, la spiritualité pour moi, c’est « le gym » de l’âme. On va aller voir un ou une psychologue pour sa santé mentale, mais on va nourrir son âme à travers la spiritualité.
 
Nous vivons actuellement une période de grands bouleversements : guerres, dérèglement climatique, luttes de pouvoir, adversité. Comme artiste, comment ressentez-vous cette période terriblement troublée et troublante ?
D.FA. : Il est certain que tout cela fait mal à l’humanité, c’est douloureux de voir toute cette violence et ce non-sens. Je pense que nous avons pris un chemin qui n’est pas le nôtre. On a dévié de notre humanité. Nous avons créé un contexte avec certaines valeurs qui ne peuvent pas fonctionner à long terme et qui ne sont pas représentatives de ce que l’homme est réellement. Nous devrions revenir vers ce qui pourrait nous aider à évoluer. Je crois fermement qu’à la base, l’humain est bon et qu’il est fait pour vivre en harmonie et en symbiose avec ce qui l’entoure. C’est là-dessus que je me concentre et j’essaie surtout de regarder vers ce qui va bien, de me rappeler qu’il n’y a pas que du mauvais, mais aussi beaucoup de beauté qu’on oublie de souligner. Je pense à tous les merveilleux professeurs qui sont passionnés, qui prennent le temps de s’occuper des jeunes pour créer une génération qui a toujours l’espoir et la force d’affronter les problèmes que nous avons créés. Ou encore aux gens qui tentent de trouver des solutions pour améliorer l’environnement ou la condition des animaux. Notre vie humaine est de courte durée, c’est facile de n’y voir que du chaos, mais quand on recule un peu et qu’on prend la mesure sur plusieurs siècles passés, on perçoit mieux l’évolution qui se fait. Si l’on ne peut pas voir le tableau de l’évolution humaine dans toute son ampleur, nous pouvons au moins essayer d’y ajouter notre goutte pour faire partie de ce qui illumine celui-ci sur une période de 100 ou 200 ans. Par ma musique, je cherche à apporter un peu de lumière.
 
En spectacle, vous demandez aux gens de ne pas applaudir après chacune de vos chansons, ce qui vous permet de rester dans une continuité méditative. Cherchez-vous ainsi à créer une ambiance particulière de recueillement et d’intensité ?
D.FA. : Je me sens très chanceuse et reconnaissante que les gens se prêtent au jeu. Il y a plusieurs raisons derrière cette demande. J’ai réalisé que le fait d’interrompre un flot musical toutes les trois ou quatre minutes par des applaudissements, ça ne marchait pas pour moi. Je dois rester dans un climat méditatif pour pouvoir vivre toutes les émotions et transmettre les fréquences que désire partager avec le public. Je veux que les gens prennent le temps de reconsidérer les choses qu’on fait par habitude sans réfléchir, sans se demander d’où elles viennent et si elles sont pertinentes ou non. Le seul moyen d’éviter les angles morts, me semble-t-il, est de retourner chaque roche pour regarder en dessous de chaque habitude afin de saisir ce qui fonctionne et ce qui n’est pas pertinent. J’ai le désir que les gens soient totalement présents. En acceptant cette consigne de ne pas applaudir, c’est un vote de confiance. Ils acquiescent en quelque sorte de venir se poser avec nous et de partager ce moment. J’ai envie qu’à travers les fréquences musicales du spectacle, ils absorbent l’énergie qu’on essaie de leur envoyer.
 
C’est un peu à contre-courant, mais heureusement, le milieu musical vous accueille comme vous êtes et c’est un beau cadeau aussi.
D.FA. : Oui, c’est un magnifique cadeau et je pense que je ne peux pas faire autrement que de rester qui je suis. C’est comme une validation de mon droit et peut-être même de mon devoir en tant qu’artiste de m’écouter, de faire ce que je veux. Ce sont les artistes qui vont en profondeur qui arrivent à me toucher avec leur art. On se doit d’être libre dans la création pour pouvoir vraiment transmettre quelque chose qui nous ressemble, qui sera le plus authentique possible.
 
Votre agenda est rempli de spectacles que vous devez donner un peu partout, en Europe et au Québec. Votre dernier album « Our Roots Run Deep » connaît déjà un grand succès. Est-ce une nouvelle vie pour vous ?
D.FA. : À la base, je suis une personne plus casanière, je ne m’étais pas imaginée vivre cette vie-là. Mais je suis tellement heureuse d’avoir cette opportunité de me promener avec des musiciens incroyables, de visiter des endroits que je ne connais pas et d’aller à la rencontre de gens extraordinaires. Partout je reçois un bel accueil. Je ne pouvais pas imaginer créer à partir de mon salon, je ne m’étais pas visualisée sur une scène. C’est pour cette raison aussi que j’ai modifié ma manière d’être lors de mes spectacles pour que ça me ressemble et que je sois confortable.
 
Vous travaillez avec cinq musiciens qui épousent votre façon de faire. Pourrait-on dire que c’est vous la patronne ?
D.FA. : À la blague, nous disons parfois que c’est moi la patronne, mais en réalité, c’est l’art qui l’est. Nous sommes un groupe de personnes à l’œuvre pour le bien de l’art. Mes musiciens me respectent, ils comprennent comment on veut travailler, avec quelle intention on doit jouer, quelle émotion on doit avoir dans le cœur pour amener du bien-être aux gens. C’est quelque chose qui est vraiment bien intégré et qui me représente.
 
C’est probablement ce qui vous permet d’établir un climat apaisant et de développer une signature forte et originale. Merci de nous avoir ouvert les portes de votre univers créatif.


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30 septembre 2024

ceci est un test

Par 000000
24 septembre 2024

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Par Comlan

Dernière révision du contenu : le 27 mars 2024

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