L’année 2023 marque les 25 ans de la création d’un projet novateur, distinctif et inclusif : celui de regrouper les services de soins spirituels de la grande région de Québec et ainsi créer le Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté).
Ce projet d’envergure répondait à la volonté des établissements de santé – maintenant CHU de Québec-Université Laval (CHU), Centre universitaire intégré de santé et services sociaux de la Capitale-Nationale, Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – d’assurer le fonctionnement au quotidien des services de soins spirituels afin de répondre aux besoins spirituels des usager(ère)s hospitalisé(e)s, hébergé(e)s ou suivi(e)s à domicile, et ce, dans le respect de leurs croyances et de leur culture.
Une relation qui sort de l’ordinaire
Depuis, l’équipe d’intervenant(e)s en soins spirituels (ISS) du CHU n’a jamais cessé de croire en la relation de soutien et d’accompagnement spirituels proposée aux usager(ère)s dans le réseau de la santé. En effet, d’après un court sondage effectué auprès de la trentaine d’ISS, la relation a été identifiée comme étant ce qui caractérise profondément les soins spirituels. C’est dans la qualité de cette relation que la spiritualité peut se frayer un chemin.
Aller à la rencontre de la personne
En complémentarité avec leurs collègues qui offrent des services sociaux, des soins physiques ou psychologiques, les ISS vont à la rencontre de la personne qui y consent pour l’écouter et l’accompagner – parfois au-delà des mots – dans son expérience profonde, et ce, afin de l’aider à puiser en elle les ressources qui répondent à son désir de mieux-être.
Dans un article du journal La Presse paru en décembre 2020, monsieur Jacques Cherblanc, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi, dit ceci : « Les intervenant(e)s en soins spirituels dans les services de santé disent que la spiritualité est une ressource interne qui permet de donner un sens à sa vie et de faire face aux souffrances. »
La relation au cœur des soins spirituels
C’est en plaçant la relation au cœur de sa mission de développement clinique, d’enseignement, de recherche et d’humanisation des soins que le CSsanté a pu contribuer au rayonnement des soins spirituels au CHU depuis 25 ans. Il y a de quoi se sentir fiers et célébrer!
Le miracle du carpe diem ou de l’ici et maintenant
Par Martine Fortin, intervenante en soins spirituels, Centre intégré de cancérologie
C’est avec beaucoup d’émotion que je me souviens de l’été 2003, quand j’ai débuté ma carrière comme intervenante en soins spirituels à L’Hôtel-Dieu de Québec après avoir été plus de 20 ans dans le communautaire. Déjà, je pressentais que je vivrais plusieurs années de bonheur, de défis et d’invitations à apprivoiser l’impuissance qui émerge au contact de la souffrance.
À la relecture de ces années de pratique, particulièrement en oncologie et en soins palliatifs, je constate comment j’ai dû demeurer attentive au langage utilisé par les personnes malades et leurs proches qui tentent d’exprimer, pour ne pas dire crier, leur quête de sens. Recherche provoquée par cette brèche qui emporte avec elle, bien souvent, les mots voulant exprimer la peur, l’angoisse et la colère, mais aussi l’espoir et l’espérance de pouvoir s’appuyer sur des repères inexplorés et pourtant à l’intérieur de soi.
Comme intervenante en soins spirituels, j’ai eu à apprendre ce nouvel alphabet de mots utilisés par les personnes meurtries par la maladie pour tenter d’exprimer leur « mal à l’être ».
Je constate que cette recherche intérieure, ce désir profond de contacter le calme et la paix, est commun à tout être humain. Toutes ces personnes que j’accompagne, qu’elles aient 30, 40, 50 ou 75 ans, crient haut et fort ce désir de vivre et d’accéder à cette paix permettant de poursuivre leur route avec dignité.
Tous ces accompagnements vécus au fil des années, toutes ces histoires si uniques entendues ont été pour moi une école de vie, une école de résilience. Oui, ces centaines de personnes ont été, et sont encore aujourd’hui, mes maîtres. Plusieurs d’entre elles se disaient incroyantes et pourtant, ce sont elles qui m’ont enseigné la foi et la confiance.
Au terme de ma carrière, je peux donc affirmer, comme je le pressentais en 2003, que mon quotidien aura été teinté de ces espaces d’impuissance. Mes années de pratique m’auront permis d’apprivoiser ce lieu inconfortable en moi, non pas en le comblant par des mots ou des solutions, mais bien en communiant à la « beauté de l’être » qui émerge au cœur de la brèche. Celle-là même qui dépasse toutes les blessures vécues et tous les maux du corps conduisant à ce que nous appelons la mort.
Comme le disait si bien le psychanalyste Paul Beauchamp : « La vraie mort n’est pas le terme de la vie; elle est ce qui, dès le début, nous empêche de naître »; naître à ce carpe diem qui apporte avec lui le miracle de la vie qui se donne dans l’ici et maintenant!
Témoignage d’une usagère du Centre intégré de cancérologie
« À la suite de l’annonce de mon diagnostic de cancer du sein au début de l’année 2022, j’ai fait comme plusieurs personnes pour me protéger et tenter de demeurer positive : je me suis réfugiée dans le déni.
C’est seulement au cours d’une deuxième série d’examens et biopsies que la réalité m’a rattrapée. J’ai réalisé que mon parcours ne se passerait pas du tout comme prévu. J’étais ébranlée après chaque examen et toujours dans l’attente de résultats avec peu d’informations pour comprendre réellement ma situation. L’insomnie et l’anxiété se manifestaient de plus en plus dans mon quotidien. Plus j’avançais dans ma trajectoire de cancer du sein, plus je perdais mes repères, mon énergie et mon essence.
Bref, je ne me reconnaissais plus. J’avais besoin de comprendre ce qui m’arrivait, de retrouver mes repères pour trouver un sens à ce parcours et j’avais surtout besoin d’aide.
Dès les premières rencontres, une travailleuse sociale comprend rapidement ma situation et me propose d’abord un suivi avec une psychologue, et ensuite me suggère également une rencontre avec une intervenante en soins spirituels en oncologie. L’approche proposée par cette intervenante rejoignait ce que je vivais et ce que je ressentais profondément comme être humain.
Être écoutée, être entendue, être comprise, être reconnue et respectée d’abord comme être humain à la recherche de sens, et ensuite comme patiente et partenaire dans son parcours de traitements et de soins m’a permis de retrouver confiance.
Petit à petit, d’une rencontre à l’autre, l’intervenante en soins spirituels a nourri l’espoir, par des explications, des réflexions, des références à des allégories ou paraboles, des questions auxquelles je trouvais enfin des réponses à l’intérieur de moi pour poursuivre mon cheminement entre nos rencontres. Parfois, elle croyait davantage en mes forces intérieures que moi-même.
En me suggérant à plusieurs reprises quelques exercices de création faisant appel à mes sens, elle a réussi à me ramener vers mes repères, mon essence, ma petite lumière intérieure permettant également de libérer la colère.
Croire de nouveau, avoir la foi en cette source plus grande que nous, a fait une grande différence dans mon cheminement. »
Nourriture pour le cœur et l’âme
Par Nicolas Desbiens, intervenant en soins spirituels, Centre mère-enfant Soleil du CHUL
Je me plais souvent à répéter que les deux qualités de base des soignant(e)s sont d’aimer les gens et d’aimer le trouble.
À titre d’intervenant en soins spirituels, je me retrouve souvent à accompagner des enfants, adolescent(e)s, jeunes adultes et leurs parents à des moments charnières de leur vie, au milieu de la détresse. Ces rencontres sont denses. Il est bouleversant et beau d’assister l’humain dans ses passages.
Ces « instants », lorsqu’ils sont accueillis et partagés, donnent souvent du sens à ce qui n’en a pas. Ils deviennent nourriture pour le cœur et l’âme.
Témoignage d’une mère du Centre mère-enfant Soleil du CHUL dans un contexte d’arrêt de traitement
« Les mots sont insuffisants pour exprimer à quel point votre passage dans ma vie a été un baume sur mon cœur. Cette lumière fait en sorte qu’aujourd’hui, je suis une maman en paix et sereine avec sa décision. Sans le savoir, vous êtes arrivé au moment où j’en avais le plus besoin. Je sentais que j’échouais dans mon rôle de maman et que je devais me résigner à baisser les bras et regarder ma fille souffrir.
Vous avez regardé F. et j’ai senti que vous compreniez que je voulais mettre fin à ses souffrances, mais que je n’avais pas encore intégré le concept de mort et de deuil qui allaient suivre.
Vous avez su rendre ce cheminement apaisant et sécurisant, malgré toute la souffrance qui m’habitait. Vous m’avez fait réaliser que je ne souffrais pas à cause de ma fille, mais je que souffrais plutôt avec elle. Vous m’avez permis de m’attacher à F. et de l’aimer comme si elle était éternelle.
Aujourd’hui, je suis plus que reconnaissante que nos chemins se soient croisés. »