Recherche clinique : pour mieux prendre en charge certains aspects psychologiques du cancer

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Josée Savard, professeure de psychologie à l’Université Laval et chercheuse de l’axe Oncologie au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, est une pionnière dans son domaine. En effet, bien que le thème du cancer ne soit pas nouveau, c’est en bonne partie grâce à elle si on s’intéresse maintenant autant à l’insomnie et à la peur de la récidive que cette maladie peut causer.

Dès le début de sa carrière de chercheuse, Josée Savard s’est intéressée aux problèmes de sommeil liés au cancer. « Quand j’ai commencé, il n’y avait rien sur le sujet, et souvent les gens me demandaient "pourquoi tu travailles sur ça?", parce que même les oncologues et les infirmières ne savaient pas que leurs patient(e)s ne dormaient pas bien. Ce n’était pas quelque chose qui leur était rapporté par les patient(e)s ni quelque chose sur laquelle ils posaient des questions », relate la professeure Savard. Pourtant, les chiffres démontrent que selon le type de cancer, ce sont entre 30 et 60 % des personnes atteintes qui souffrent d’insomnie, alors que la proportion est deux fois moins grande dans la population générale.

Les travaux de la Pre Savard ont notamment porté sur la prévalence du problème chez les gens atteints de cancer, sur les facteurs de risque et sur certaines conséquences des difficultés de sommeil, dont une étude qui a démontré que l’insomnie était associée à un risque accru de développer des infections durant un traitement de chimiothérapie pour le cancer du sein. Il a ainsi été prouvé que non seulement l’insomnie affecte négativement la qualité de vie, qu’elle peut être associée à la dépression et à l’anxiété, mais aussi qu’elle peut avoir des conséquences physiques. 

La Pre Savard a également développé et testé des interventions pour aider les personnes atteintes de cancer à mieux dormir. Ces interventions ne ciblent pas les déclencheurs de l’insomnie (stress, douleur, effets secondaires des traitements…), mais plutôt les comportements et les croyances qui la font perdurer. « Par exemple, faire des siestes dérègle l’horloge biologique, tandis que passer trop de temps éveillé au lit – parce qu’on a du mal à s’endormir ou parce qu’on s’éveille pendant la nuit – brouille l’association entre le lit et le sommeil. Le lit devient plutôt associé à l’agitation et à l’insomnie. Il y a aussi les croyances erronées qui amplifient l’anxiété, et par conséquent l’insomnie, comme de penser que mal dormir va provoquer une récidive du cancer. »

L’une des premières études de la Pre Savard a permis de déterminer que la thérapie cognitivo-comportementale utilisée pour traiter l’insomnie dans la population générale, dont l’efficacité est bien établie, a la même efficacité pour les personnes atteintes de cancer. Cependant, « peu de gens y ont accès, entre autres parce que les psychologues qui travaillent en oncologie vont plutôt suivre des patient(e)s pour des problèmes jugés plus sévères, comme la dépression ou l’anxiété. C’est aussi une question de coûts. »

Partant de ce constat, Josée Savard et son équipe ont développé une intervention plus accessible, combinant de l’information écrite et une vidéo. Ils ont ensuite comparé l’efficacité de cette intervention auto-administrée à celle de l’intervention habituelle offerte par un(e) psychologue, puis avec les données recueillies auprès d’un groupe ne recevant pas de traitement. Les résultats ont démontré que le traitement auto-administré était plus efficace qu’aucun traitement, mais légèrement moins efficace que le traitement offert par un(e) psychologue.

L’équipe s’est alors tournée vers un modèle d’intervention en paliers (Stepped Care) dans laquelle l’intervention est ajustée en fonction des besoins de la personne traitée : on commence par une intervention auto-administrée en ligne appelée « Insomnet », puis si les symptômes sont toujours présents, le ou la patient(e) pourra poursuivre avec un(e) thérapeute.

L’efficacité de l’intervention en paliers a été comparée à celle d’un traitement standard de six séances avec un(e) clinicien(e). Les résultats ayant démontré que les deux interventions sont d’une efficacité équivalente, la Pre Savard a démarré il y a quatre ans le projet IMPACT visant à intégrer l’intervention en paliers dans les soins de routine. Ce projet d’implantation est financé par les Instituts de recherche en santé du Canada et la Société canadienne du cancer et est mené en collaboration avec l’Hôpital du Saint-Sacrement, le Centre intégré de cancérologie, l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec et l’Hôtel-Dieu de Lévis. « Lorsqu’un(e) patient(e) a des difficultés de sommeil, l’intervenant(e) lui remet un signet expliquant le programme. Les patient(e)s peuvent ensuite suivre les modules d’Insomnet à la maison et, lorsqu’ils les ont terminés, ils remplissent un questionnaire pour évaluer s’ils souffrent encore d’insomnie. Le cas échéant, ils reçoivent un message les avisant qu’ils sont admissibles à des séances avec un(e) psychologue. S’ils acceptent, ils sont automatiquement inscrits sur la liste d’attente en oncologie psychosociale de leur milieu de soins. » 

Jusqu’à maintenant, le programme semble répondre aux besoins des patient(e)s, tandis que son efficacité équivaut à ce qui a été observé dans les études cliniques précédentes de la Pre Savard portant sur la même intervention. « Les taux de réussite tournent autour de 70 %. Ce n’est pas 100 % parce que certain(e)s patient(e)s ont de la difficulté à adhérer aux stratégies proposées, qu’ils vivent d’autres stresseurs ou ont d’autres problèmes de santé. »

La phase d’implantation étant presque terminée, il faudra évaluer avec les professionnel(le)s impliqué(e)s (infirmières, médecins, technologues en radio-oncologie, psychologues, travailleurs sociaux, gestionnaires, etc.) et des patient(e)s quelles seraient les conditions à respecter afin que le programme puisse continuer à être offert une fois le projet de recherche terminé. « L’objectif, c’est que l’insomnie arrête d’être un problème qui passe sous le radar et que les somnifères ne soient plus la seule option offerte aux patient(e)s. Cela est crucial sachant que les médications hypnotiques perdent de l’efficacité lorsqu’utilisées tous les jours, sur plusieurs semaines, ce qui entraîne une augmentation de la dose pour conserver le même effet, et peut engendrer des problèmes de dépendance, notamment psychologique. »  
 

Mieux composer avec la peur de la récidive du cancer

Josée Savard est aussi connue pour ses travaux sur la peur de la récidive du cancer. Ayant déjà mené quelques travaux sur le sujet, elle et ses collègues psychologues ont été approchées il y a quelques années par des infirmières pivots du CHU de Québec-Université Laval qui souhaitaient qu’une intervention soit développée pour répondre aux besoins des patient(e)s. 

En collaboration avec les psychologues cliniciennes spécialisées en oncologie Lucie Casault, Aude Caplette-Gingras et Jennifer Hains, une intervention de psychoéducation de groupe de deux séances a d’abord été développée dans l’objectif d’informer les patient(e)s sur des stratégies efficaces pour composer avec la peur de la récidive du cancer. « Les commentaires des participant(e)s à cette première mouture de l’intervention n’étaient pas aussi positifs que souhaité. Ils trouvaient que ça allait vite, qu’il y avait beaucoup de matériel et qu’ils étaient trop nombreux dans les groupes. Nous avons donc révisé le tout pour en faire une psychothérapie cognitivo-comportementale de quatre séances, offertes en plus petits groupes, pour aider les personnes, peu importe où elles en sont dans leurs traitements et leur maladie, à mieux composer avec leur peur de récidive sur le plan des comportements, des pensées et des croyances. » Ce programme est maintenant offert plusieurs fois par année au CHU de Québec-Université Laval.  

Pour valider l’efficacité de l’intervention, les participant(e)s répondent à un questionnaire lors de la première rencontre, puis à un deuxième un mois après la fin de l’intervention. Les résultats de cette évaluation, publiés il y a quelques années, ont démontré l’efficacité de l’intervention : amélioration de la qualité de vie en général, avec des réductions importantes de la peur de la récidive du cancer, de la sévérité de l’insomnie et d’autres symptômes psychologiques, comme la dépression. 

Forte de ces résultats, l’équipe a souhaité rendre son protocole public dans une publication combinant le manuel du thérapeute et le manuel du participant. Publié en décembre 2022 en anglais par la maison d’édition Springer, ce livre est le premier à se consacrer à la peur de la récidive de cancer.

De plus, l’équipe a reçu une subvention du Fonds de soutien à l’innovation sociale de l’Université Laval qui lui a permis de former une quinzaine de psychologues œuvrant en oncologie un peu partout dans la province afin qu’ils puissent eux aussi administrer le protocole de traitement à leurs patient(e)s. 

Avec le développement de ces deux interventions visant à mieux prendre en charge les problèmes de sommeil et la peur de la récidive, enfin ces deux aspects psychologiques du cancer ne « passeront plus sous le radar »!


Josée Savard, professeure de psychologie à l’Université Laval et chercheuse de l’axe Oncologie au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval.


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