Qu’est-ce qui cause les inégalités biologiques face au cancer? Pourquoi un patient répond bien aux traitements, mais pas son voisin? Comment se fait-il qu’une personne a une récidive, mais pas l’autre? Y a-t-il des facteurs qui pourraient influencer positivement la réponse aux médicaments ou prévenir le développement d’un cancer agressif?
C’est notamment à ces questions que tente de répondre Caroline Diorio, épidémiologiste, spécialiste en oncologie moléculaire, chercheuse de l’axe Oncologie au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval ainsi que professeure titulaire au département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval. Ses recherches portent principalement sur le cancer du sein, mais également sur le cancer de la prostate, deux types de cancer qui partagent des facteurs de risque similaires.
« Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de mieux comprendre ce qui se passe avec les gènes présents dans l’ensemble des tissus (épithélium, stroma, gras) de la glande mammaire, et pas uniquement dans les tissus cancéreux », explique la professeure Diorio. Par exemple, lors de récents travaux, son équipe a mesuré la présence de gènes spécifiquement liés à l’inflammation et jouant un rôle dans l’apparition du cancer du sein dans le tissu « normal » de la glande mammaire de patientes atteintes par cette maladie. Ces mesures ont été corrélées avec certains facteurs de risque établis de cancer du sein, comme la densité mammaire à la mammographie et l’involution lobulaire à l’histologie, afin de déterminer ce qui serait susceptible de modifier l’expression de ces gènes. La densité mammaire est la proportion du sein occupée par l’épithélium et le stroma par rapport au gras, tandis que l’involution lobulaire est un processus physiologique lié à l’âge qui s’accompagne d’une réduction de l’épithélium où se développe le cancer du sein.
L’équipe a ensuite voulu savoir si l’activité physique, les antioxydants, les oméga-3, le sommeil ou encore l’obésité pouvaient aussi influencer l’expression des gènes liés à l’inflammation. « Si nous arrivons à modifier l’expression d’un groupe de gènes par divers moyens, que ce soit le sport, la perte de poids, l’alimentation, etc., nous pourrons offrir une prévention plus efficace parce que les gens pourront choisir entre différentes options qui leur conviendront mieux et auxquelles ils auront plus de chance d’adhérer. Par exemple, si une personne n’aime pas faire du sport, elle pourrait choisir de manger plus de poisson pour augmenter ses apports en oméga-3 », illustre la Pre Diorio.
D’autres recherches de l’équipe portent sur la méthylation des gènes, soit la régulation de l’expression des gènes par des modifications chimiques. Ainsi, dans une récente étude cas-témoins visant à créer ultérieurement un modèle prédictif, la méthylation a été mesurée dans le tissu mammaire sain pour voir lesquels, parmi 450 000 sites de méthylation, sont modifiés lorsqu’une femme développe un deuxième cancer du sein par rapport à celle qui n’en développe pas. « Nous menons des tests de méthylation sur de petits morceaux de tissu sain, puis nous validerons s’il est possible de prédire efficacement un risque de second cancer du sein. Par ailleurs, étant donné que nous pouvons jouer sur ces modifications chimiques de gènes, il y aura peut-être aussi moyen d’offrir, un jour, une prévention adaptée. » En effet, la méthylation des gènes est une cible de prévention intéressante, puisque certaines composantes alimentaires, hormonales et médicamenteuses semblent toutes pouvoir l’influencer.
La Pre Diorio mène également des travaux sur l’obésité, un facteur qui joue négativement sur la survie d’une personne au cancer du sein : « Dans mes recherches, je tente par exemple de comprendre si la survie est moins bonne chez les personnes obèses parce que les traitements sont moins efficaces pour elles ou parce que la façon dont elles métabolisent le médicament n’est pas optimale. »
La grosseur des cellules graisseuses (adipocytes) dans le sein est, entre autres, un sujet d’intérêt. En effet, celle-ci est non seulement liée au tour de taille et aux autres mesures anthropométriques, mais aussi à différents problèmes de santé, tel le diabète ou le syndrome métabolique, et l’équipe a posé l’hypothèse que la grosseur des adipocytes mammaires serait significative pour prédire la survie des patientes ou le risque de récidive. Les recherches sont menées avec plus de 2 000 échantillons provenant de la banque de tissus : à partir d’une coupe de tissu mammaire, un colorant est utilisé pour faire ressortir les membranes des cellules graisseuses, puis à l’aide d’un logiciel, la mesure de la taille de chaque adipocyte est calculée.
La prochaine étape sera de valider si cette mesure permet de prédire efficacement le risque de récidive du cancer ou la survie de la patiente. À travers ses recherches, l’équipe perfectionne aussi son outil de mesure des adipocytes dans le sein afin qu’un jour il puisse être utilisé en clinique.
« L’idée de la prévention personnalisée est derrière tous les projets que je fais », conclut la Pre Diorio.
Caroline Diorio, épidémiologiste, spécialiste en oncologie moléculaire, chercheuse de l’axe Oncologie au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval ainsi que professeure titulaire au département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval.
Le Centre des maladies du sein, l’un des plus grands au Canada
La Professeure Caroline Diorio est membre du groupe de recherche du Centre des maladies du sein (CMS), situé à l’Hôpital du Saint-Sacrement (HSS). Non seulement cela favorise la collaboration avec les cliniciens, les pathologistes et les chirurgiens, mais cela lui donne également accès à un grand bassin de patientes. En effet, ce sont plus de 1 000 femmes qui sont diagnostiquées avec un nouveau cancer du sein chaque année au CMS. De plus, la Pre Diorio est responsable de la Banque de tissus et de données du Réseau de recherche en cancer, également hébergée à l’HSS, qui contient des échantillons provenant de plus de 7 000 femmes.