Louis Flamand, virologue et chercheur de l’axe Maladies infectieuses et immunitaires au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, recueille des indices sur les virus afin de déjouer leurs plans et de mieux soigner leurs victimes humaines.
Évidemment, Louis Flamand ne traque pas tous les virus : il y en a beaucoup trop! C’est pour l’herpès virus humain type 6, ou « HHV-6 » (Human Herpesvirus 6), qu’il se passionne depuis une trentaine d’années. Ce virus très répandu, et habituellement bénin, est celui qui cause la roséole chez les bébés.
Pourquoi y consacrer son temps alors? « Ce qui est intéressant avec HHV-6, c’est qu’il a une particularité unique parmi les herpès virus humains : il peut intégrer son matériel génétique aux chromosomes de la cellule qu’il infecte. » Cette caractéristique de HHV-6 signifie qu’il est dupliqué sans être altéré lors de chacune des divisions cellulaires et qu’il fait ainsi partie du bagage génétique de son hôte.
Louis Flamand se concentre plus particulièrement sur les mécanismes qui permettent cette intégration aux chromosomes ainsi qu’à leurs conséquences sur les cellules humaines. « Chez certaines personnes, le virus peut infecter un gamète et y intégrer son génome. Si par la suite ce spermatozoïde ou cet ovule infecté est impliqué dans une fécondation, toutes les cellules du bébé à naître contiendront cet ajout de matériel génétique. C’est ce qu’on appelle un inherited-chromosomally-integrated individual (iciHHV-6) et on estime que ça touche environ 1 % des gens dans le monde. En arrondissant à 8 milliards de personnes sur Terre, ça fait 80 000 000 de cas! Sous l’angle du pourcentage, c’est assez rare, mais du point de vue des maladies génétiques et du nombre de personnes touchées, c’est plutôt commun! »
Le hic, c’est que l’impact de ce problème de santé est encore mal connu. Selon des tests qui ont été menés sur des échantillons de cordons ombilicaux provenant du Centre mère-enfant Soleil du CHU de Québec-Université Laval, Louis Flamand soupçonne qu’elle pourrait notamment affecter la capacité de division cellulaire à long terme. Nous essayons maintenant de comprendre comment cette capacité de division réduite pourrait affecter la biologie de la cellule et quels autres problèmes de santé cela pourrait causer. »
Son équipe a également analysé 20 000 échantillons de la biobanque CARTaGENE du CHU Sainte-Justine, puis a recoupé les données avec celles des dossiers médicaux associés afin de découvrir si ce problème médical prédispose à des problèmes de santé. « Nous sommes arrivés à la conclusion que les iciHHV6+ ont environ trois fois plus de risque de développer de l’angine de poitrine que les autres personnes. L’angine ne serait pas due à une infection active du virus, mais plutôt à une expression des gènes du virus qui crée une “pseudo” auto-immunité, une destruction des tissus et de l’inflammation, ce qui, sur des décennies, causerait des problèmes. »
Les avancées dans ce domaine pourraient être fort utiles pour améliorer les chances de succès des dons d’organes et de cellules souches. « En ce moment, ni les donneurs ni les organes ne sont criblés pour vérifier la présence de ce virus. Alors, si un organe provenant d’un iciHHV-6+ est transplanté, il se pourrait que le virus exprime des protéines qui vont provoquer une attaque immune contre le greffon et le détruire. »
Les données ne sont pas encore assez étoffées pour recommander un criblage systématique des organes et des donneurs, mais selon Louis Flamand, il serait opportun d’identifier les receveurs d’un organe ou de cellules issus de donneurs iciHHV-6+ et de les suivre pour surveiller l’apparition d’anomalies ou de complications. Ensuite, selon les résultats obtenus, il pourrait devenir pertinent d’intervenir en amont.
SRAS-CoV-2 : une nouvelle passion
Depuis les deux dernières années, Louis Flamand a ajouté un virus à la liste de ses chouchous : le SRAS-CoV-2.
Une première série de travaux sur ce nouveau virus a été rendu possibles grâce à la collaboration de l’équipe de Younes Zaid de l’Université Mohamed V, à Rabat (Maroc). Cette dernière a fourni des échantillons de patients atteints d’une forme sévère de la COVID-19 à partir desquels l’équipe de Louis Flamand tente de comprendre comment le virus cause une hyper inflammation des poumons. En se basant sur les données recueillies et les modèles d’infection qui en découlent, des interventions thérapeutiques et génétiques sont testées sur des modèles animaux.
« Nous avons eu la chance de pouvoir comparer ce qui se passe dans le sang avec ce qui se passe dans les poumons des patients, et les corrélations n’étaient pas là. Autrement dit, l’inflammation des poumons ne se reflète pas nécessairement en périphérie, de sorte que le plan thérapeutique basé sur ce qu’on voyait dans le sang n’était peut-être pas approprié. Ça nous a incités à explorer une classe de molécules qui n’était pas encore ciblée par les thérapies. »
D’autres collaborations sont notamment en cours avec les Drs Paul Fortin et Inès Colmegna, une rhumatologue de l’Université McGill, qui s’intéressent au traitement de la COVID-19 chez les personnes souffrant d’une maladie auto-immune. Deux essais cliniques, dont COVIAAD (COVID-19 Vaccine in Immunosuppressed Adults With Autoimmune Diseases), étudient leur réponse à la vaccination ainsi que le nombre de doses nécessaires pour leur assurer une protection efficace. L’équipe de Louis Flamand analyse le sérum des participants et vérifie leur capacité à produire des anticorps contre l’infection selon leur profil (âge, sexe, immunosuppression, polyarthrite, lupus, médicaments, etc.) et le nombre de doses de vaccin reçues. Pour le moment, les résultats démontrent que les médicaments affectent la réponse immunitaire.
En plus de ses collaborations à différentes études sur la COVID-19, Louis Flamand est également responsable du « pilier virologie » de CoVaRR-Net. Ce « réseau de réponse rapide », financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), a vu le jour en 2021 pour fournir des données sur SRAS-CoV-2 et ses variants au gouvernement fédéral. Il est composé d’une dizaine de piliers regroupant des chercheurs aux expertises complémentaires.
En parallèle, Louis Flamand dirige le projet de Consortium canadien des laboratoires universitaires de biosécurité de niveau 3 (CCABL3), une entité issue de CoVarr-Net. « Nous voulons répertorier où sont les expertises, les installations et les équipements, puis uniformiser nos processus afin de permettre les échanges d’échantillons de pathogènes entre la santé publique et les différents laboratoires pour que tout soit déjà en place en cas de crise. »
Louis Flamand a d’ailleurs conclut une entente avec l’Université Laval afin que CCABL3 y soit basé et y poursuive son développement, ce qui devrait être fort utile pour nous préparer à de futures pandémies.
Louis Flamand tient à remercier sa fidèle équipe : Annie Gravel, professionnelle de recherche; Isabelle Dubuc et Leslie Gudimard-Garampon, techniciennes de laboratoire; Émilie Lacasse et Sabrina Gentil, étudiantes de deuxième cycle; Patrick Fortin, stagiaire.