La recherche clinique en orthopédie, ou comment améliorer la qualité de vie

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Comme ils le disent eux-mêmes, les orthopédistes Stéphane Pelet et Étienne Belzile « ne sauvent pas de vies ». Cependant, leurs projets de recherche ont toujours des implications cliniques qui permettent d’améliorer la qualité de vie des patients et ont le potentiel de faire épargner beaucoup d’argent au système de santé.

Depuis quelques années déjà, les deux orthopédistes travaillent leurs projets de recherche en collaboration : le Dr Belzile est décrit par son collègue comme un « générateur d’idées » et a une grande aisance pour réviser les articles, tandis que le Dr Pelet se spécialise dans la méthodologie et les statistiques. Autour d’eux gravite toute une équipe, dont font partie le Dr Bogdan Matache, également orthopédiste, ainsi que les infirmières de recherche Sylvie Turmel et Hélène Côté. Un comité de recherche composé de quatre autres orthopédistes (Dres Annie Arteau et Patricia Larouche, Drs Simon Corriveau-Durand et Jean-Christophe Murray) complète l’équipe.

Les projets qui les occupent sont généralement de leur cru, puisqu’ils visent avant toute chose à répondre à leurs propres questions cliniques et, par le fait même, à trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent dans leur pratique. Leur programme de recherche se divise en deux grands thèmes, soit les problèmes traumatologiques et les problèmes biomécaniques.

Chaque année, l’équipe produit ou collabore à une trentaine d’articles.
 

Les problèmes traumatologiques

Parmi les problèmes étudiés par les deux orthopédistes, la fracture de la hanche et la manière dont elle est traitée occupe une grande place. Selon le Dr Belzile, « c’est une pathologie qui est lourde pour le système hospitalier : en terme de coûts, ça représente des sommes plus importantes que celles allouées pour tous les soins cardiaques combinés1. L’impact de cette pathologie est donc énorme, mais il est peu étudié, parce que souvent classé dans la catégorie des soins de fin de vie. » 

Cependant, les nombreux travaux des Drs Pelet et Belzile sur le sujet ont fini par attirer l’attention de leurs collègues canadiens et étrangers, ce qui a généré de nouveaux projets, dont des essais randomisés à grande échelle menant à la publication de plusieurs articles au cours des dernières années, notamment dans le New England Journal of Medecine et The Lancet.

Par exemple, un essai randomisé dirigé par l’Université McMaster, auquel une quinzaine de centres universitaires canadiens et internationaux collaborent, cherche à établir si la pose d’une prothèse de la hanche est préférable à une hémiarthroplastie2 pour favoriser la mobilité. Afin de répondre à la question, ce sont près de 1 500 patients randomisés en deux groupes (environ la moitié aura une prothèse et l’autre, une hémiarthroplastie) qui sont suivis pendant une année entière après avoir subi une fracture de la hanche.

Les Drs Belzile et Pelet aimeraient également évaluer l’efficacité de l’aspirine, en comparaison avec d’autres molécules plus chères, pour prévenir les thromboembolies3, des complications fréquentes après une fracture de la hanche ou une arthroplastie. Si le financement demandé est accordé, cette étude nécessitera une cohorte de 7 000 patients et la participation de 14 centres canadiens qui se sont déjà engagés à collaborer. 

L’équipe dirige aussi des études évaluatives qui analysent comment les traitements sont administrés afin de les améliorer. « Nous avons fait un projet randomisé sur les fractures de cheville comportant des lésions du ligament qui lie le tibia au péroné. Nous avons été les premiers à utiliser des fixations dynamiques, donc des fils plutôt que des vis, et nous avons démontré que la fixation dynamique produit de meilleurs résultats fonctionnels. Dans un autre projet, nous avons aussi démontré qu’il est inutile d’opérer dans les cas de luxations acromio-claviculaires, ce qui n’est quand même pas banal! », relate le Dr Pelet. 

Pour leurs analyses, les deux orthopédistes recueillent également des données au fil des années sur divers traumatismes ou maladies, comme les fractures acétabulaires4, les fractures du calcanéum5, les fractures périprosthétiques6 ou encore l’ostéopétrose7. Petit à petit, ils développent ce qui sera probablement la première banque de reconstruction post-traumatique, laquelle permettra de suivre et de comparer certains paramètres (mobilité, temps de guérison…) en fonction de l’exécution des traitements.
 

Les problèmes biomécaniques

Le développement des problèmes biomécaniques est au centre de plusieurs autres études des Drs Belzile et Pelet. L’un des essais en cours, mené en collaboration avec des équipes en Corée, aux Pays-Bas et l’Université McMaster, s’intéresse au développement du fémur et de ses malformations possibles chez l’enfant. À terme, l’équipe aura suivi la croissance du fémur par résonance magnétique chez environ 200 enfants, de très actifs à inactifs, qui auront enregistré et noté toutes leurs activités sportives pendant cinq ans à l’aide d’une montre électronique et d’un cahier de bord.

En parallèle, le Dr Belzile collabore avec une quinzaine de centres américains pour étudier l’effet d’un traitement sur le conflit fémoroacétabulaire8 dans une cohorte de 800 patients. « Nous recueillons toutes les données : nous faisons l’examen physique de A à Z, filmons l’opération et prenons des photos. Et nous allons suivre l’évolution de la maladie pendant dix ans », mentionne le Dr Belzile. Cet essai devrait entre autres aider à comprendre pourquoi certaines personnes développent de l’arthrose et quels éléments peuvent contribuer à l’éviter.

Les orthopédistes et leurs étudiants gradués collaborent également avec des kinésiologues pour étudier les mouvements des gardiens de but au hockey, notamment le « style papillon » qui semble particulièrement dommageable pour les hanches. Afin de mieux comprendre quels mouvements sont les plus dommageables, ces derniers sont analysés chez des joueurs de haut niveau âgés de 14 à 30 ans.

Il y a quelques années, ils avaient d’ailleurs déjà entrepris une étude similaire avec une cohorte de 700 joueurs de football de niveau secondaire. « Cette étude a mené à une autre, et je participe maintenant à un projet sur le développement de l’élève-athlète avec des nutritionnistes, des physiothérapeutes et des travailleurs sociaux de l’Université Laval. C’est un projet panquébécois pour suivre l’évolution de l’adolescent pratiquant un sport de haut niveau et qui tient compte aussi bien des aspects physiques que mentaux », précise le Dr Pelet.
 

Travailler en équipe et former la relève

Le mode de fonctionnement en équipe instauré en orthopédie par les Drs Belzile et Pelet permet non seulement à chacun de préserver suffisamment de temps pour ses activités cliniques et de recherche, mais aussi pour participer à plus de projets. De même, cela permet de générer un fonds de financement utile autant pour leur propre équipe que pour leurs collaborateurs œuvrant dans d’autres spécialités. « Avec ce système, nous sommes capables de soutenir des collègues qui participent à un projet multicentrique en leur "prêtant", par exemple, nos infirmières de recherche. En dégageant du temps, ce partage de ressources favorise la participation à des projets », explique le Dr Belzile. Les activités de recherche sont planifiées et organisées en accord avec les membres du comité de recherche qui se réunit quatre fois par année.

L’équipe mise aussi sur la relève, à tel point qu’un programme a été créé pour inciter les étudiants en médecine au premier cycle à faire de la recherche clinique. Une formation de base est dispensée sous forme de cours d’été, puis les étudiants sont initiés à divers aspects de la recherche tout au long de leur parcours clinique. Par la suite, les résidents en orthopédie bénéficient d’un programme de formation complet et innovant se déroulant tout au long de leur résidence : étude de cas en première année, développement et rédaction d’un protocole de recherche clinique prospectif en deuxième année (mois de recherche protégé), projet clinique en troisième année, projet clinique ainsi que rédaction et soumission d’un article clinique en quatrième année (mois de recherche protégé).

De plus, les résidents présentent leurs travaux chaque année lors de la Journée scientifique des résidentes et résidents en orthopédie de l’Université Laval à laquelle participent également des orthopédistes et médecins d’autres universités (52e édition en 2022). Lors de cette journée, trois prix sont décernés aux meilleurs projets par un jury indépendant formé de chercheurs qualifiés, et le récipiendaire du premier prix représente l’Université Laval lors du congrès annuel de l’Association d’orthopédie du Québec (AOQ). Cette année, un nouveau programme de bourses d’été et de maîtrise a été mis sur pied et soutiendra cinq étudiants dans la réalisation de leur projet. 

Ce programme fonctionne tellement bien que quelques résidents ont remporté des prix importants, notamment celui de « meilleur investigateur » remis par une société américaine, et ont même été invités à présenter dans des congrès prestigieux, comme celui de l’American Academy of Orthopaedic Surgeons, considéré comme le plus gros congrès en orthopédie au monde.

Grâce à son dynamisme et à l’intérêt qu’elle porte au développement de la recherche chez les résidents, l’équipe a fait sa place et a changé le visage de la recherche en orthopédie au Canada. Selon le Dr Belzile, « avant, c’était surtout les centres de London, Toronto et Vancouver qui publiaient des recherches en orthopédie. Mais depuis une dizaine d’années, l’Université Dalhousie a produit 9 fois plus de recherches. De notre côté, nous en avons produit 6,6 fois plus, et Ottawa 5,9 fois plus. Nous sommes maintenant les trois universités émergentes. » 

Ce qui est une excellente nouvelle, quand on comprend à quel point ces projets peuvent influencer la qualité de vie des patients et faire économiser beaucoup d’argent au système de santé!

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Les Drs Étienne Belzile et Stéphane Pelet.

 

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Les infirmières de recherche Hélène Côté et Sylvie Turmel.

 


Notes : 

  1. La durée moyenne d’une hospitalisation pour fracture de la hanche tourne autour de 22 jours au CHU de Québec-Université Laval. Cela représente plus de 22 000 $ par évènement. De plus, l’incidence de ces fractures est grandissante avec le vieillissement de la population.

  2. Hémiarthroplastie : remplacement partiel de la hanche.

  3. Thromboembolie : formation d’un caillot dans le sang et déplacement de ce caillot dans le corps.

  4. Fracture acétabulaire : fracture du bassin au site de l’articulation de la hanche, normalement causée par un traumatisme (chute, accident de la route…).

  5. Fracture du calcanéum : fracture d’un os du pied.

  6. Fracture périprosthétique : fracture de stress se développant en périphérie d’une prothèse.

  7. Ostéopétrose : maladie des os considérée comme une maladie orpheline, mais dont l’incidence est plus élevée au Québec qu’ailleurs dans le monde.

  8. Conflit fémoroacétabulaire : problème mécanique affectant la mobilité de la tête du fémur dans la cavité articulaire du bassin.


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14 juin 2022

À toute votre équipe, grand MERCI de tout coeur pour votre travail de recherche en orthopédie!
Par vos résultats mis en pratique, vous
nous apportez soulagement,
amélioration, confort, durabilité et espoir.
BRAVO !

Par Diane Poulin
13 juin 2022

IMMENSE MERCI à mes 2 orthopédistes pour leur grand dévouement à rendre l'humain le plus fonctionnel possible (opérations et/ou traitements) ainsi qu'à Madame Turmel pour sa présence et toujours grande disponibilité à répondre à mes questions/appréhensions.
Grâce à vous trois, je peux encore vaquer à mes petites activités.

Par Diane Gauthier

Dernière révision du contenu : le 24 janvier 2023

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