En mai 2020, le groupe collaboratif international COVIDSurg dévoile, dans la revue The Lancet, les résultats alarmants d’une étude récente réalisée auprès de 1 128 patients : un taux de mortalité de 23,8 % et un taux de complications pulmonaires post-opératoires de 51,2 % chez les patients atteints de la COVID-19 en péri-opératoire (sept jours avant ou quatre semaines après leur chirurgie).
Selon cette étude, la « tempête inflammatoire » de la COVID-19 serait exacerbée par l’inflammation provoquée par la chirurgie, ce qui fait monter en flèche les risques de complications et de mortalité post-opératoires. Ainsi, alors que le taux de mortalité moyen après chirurgie est normalement de moins de 1 %, il grimpe à près de 24 % en cas de COVID-19.
Avant de connaître ces données, les équipes médicales craignaient surtout d’être infectées par un patient porteur de la maladie lors d’une intervention chirurgicale. Soudainement, à la lumière de ces résultats préoccupants, leurs craintes se sont concentrées sur les risques encourus par les patients et les questions se sont multipliées. Par exemple, une fois le patient remis de la COVID-19, pendant combien de temps reste-t-il plus à risque de complications et de mortalité post-opératoires? Pendant combien de semaines ou de mois faut-il attendre avant qu’il soit sécuritaire de l’opérer?
Ainsi, dès octobre 2020, le groupe COVIDSurg a entrepris une deuxième étude afin de répondre à ces questions. Avec plus 140 000 patients, 1 674 hôpitaux dans 116 pays et 15 000 auteurs, c’est devenu la plus grande étude prospective internationale en chirurgie jamais réalisée.
Le CHU saute dans l’aventure
« Je n’avais jamais fait de recherche de ce genre, mais parce que je connais le responsable de l’étude, en Angleterre, et que peu d’hôpitaux canadiens étaient impliquées dans le projet, il m’a invité à y participer. J’ai accepté et je me suis dépêché d’aller chercher de l’aide! », raconte le Dr Pascal St-Germain, chirurgien général à l’Hôpital du Saint-Sacrement.
Car le temps presse : nous sommes en septembre, et l’étude doit commencer en octobre! Par l’entremise de Christine Mimeault, directrice générale adjointe du nouveau complexe hospitalier, et du Dr Stéphane Bergeron, directeur des services professionnels, le Dr St-Germain est présenté au Dr Stéphane Bolduc, directeur adjoint à la recherche clinique au Centre de recherche du CHU (CRCHU).
Le Dr St-Germain est alors mis en contact avec Geneviève Filion, coordonnatrice de la Plateforme de la recherche clinique et évaluative du CRCHU, et Hugo Garneau, coordonnateur adjoint à la recherche clinique. Cette plateforme existe justement pour aider les chercheurs dans toutes les étapes d’un projet. Ainsi, dès le départ, le nouveau chercheur est guidé à travers les formations nécessaires et les démarches essentielles, par exemple la présentation du projet au comité d’éthique de la recherche.
En parallèle, le Dr St-Germain parle du projet à d’autres chirurgiens et, rapidement, toutes les spécialités chirurgicales des cinq hôpitaux du CHU acceptent de participer à l’étude. Il obtient également le soutien d’Annie Bourgault, directrice adjointe périopératoire et des unités de retraitement des dispositifs médicaux, ainsi que du personnel du CRCHU, des anesthésistes, des résidents en chirurgie, des infirmières, des infirmières de recherche, agents de recherche et agentes administratives.
Ainsi, en octobre 2020, les chirurgiens participant à l’étude ont recruté leurs patients sur une période d’une à deux semaines, que ceux-ci aient eu ou non la COVID-19. Avant l’opération, le médecin devait remplir un questionnaire (sexe, âge, type de chirurgie, facteurs de risque, COVID, etc.). Ensuite, 30 jours après la chirurgie, il devait faire un suivi pour vérifier si le patient avait eu des complications, voire s’il y avait eu de la mortalité.
Et le travail d’équipe a porté ses fruits : ce sont près de 600 patients qui ont été recrutés au CHU pour cette étude, ce qui en fait l’un des centres participants à cette étude les plus « productifs ».
« Tout le monde a voulu s’impliquer, notamment parce que c’était important pour nous en tant que chirurgiens : la COVID a un impact direct sur nos patients et il est primordial de savoir quand il est sécuritaire de les opérer. Auparavant, nous avions seulement des données préliminaires. La vraie réponse est venue avec cette étude! », explique le Dr St-Germain.
Des questions… et des réponses
Les résultats de l’étude démontrent qu’il faut attendre au moins sept semaines avant d’opérer un patient qui a eu la COVID-19. Évidemment, cette recommandation doit être ajustée selon l’état de santé du patient : par exemple, si le patient est atteint d’un cancer, les médecins doivent évaluer si des traitements alternatifs pourraient permettre de retarder la chirurgie.
Les résultats de cette même étude ont donné lieu à une deuxième publication portant cette fois sur le lien entre les vaccins, les chirurgies et les complications ainsi que la mortalité post-opératoires. Selon cet article, dans les cas où les pays ne sont pas en mesure de vacciner toute leur population, les efforts de vaccination devraient cibler prioritairement les personnes les plus fragiles, parmi lesquelles les patients chirurgicaux, afin de sauver le plus de vies possible. En effet, les données montrent que la vaccination réduit considérablement les risques associés à une chirurgie après avoir contracté la COVID-19.
Une troisième publication issue de cette étude, à venir, portera sur le risque d’événements thrombo-emboliques : chez un patient qui n’a pas eu la COVID-19, le risque est de 0,5 %. Cependant, si le patient a la COVID en péri-opératoire, son risque est augmenté à 2,2 %, soit un risque quatre fois plus grand. Quant à ceux ayant attrapé la maladie entre une et six semaines avant l’intervention chirurgicale, le risque est de 1,6 %. Et si le patient a non seulement eu la COVID-19 en période péri-opératoire, mais aussi une pneumonie, son risque est multiplié par dix et il passe à 5,4 %! « Pour nous, ces données sont primordiales. Elles permettent d’éviter les complications et la mortalité en donnant une thrombo-prophylaxie adaptée au patient dans les cas où il n’est pas possible de retarder la chirurgie. Et il est possible de prolonger la thrombo-prophylaxie du patient après son retour à la maison si son risque est plus élevé. »
Par ailleurs, les données de l’étude indiquent que les hommes sont beaucoup plus à risque de subir des complications post-chirurgicales que les femmes.
Des connaissances à faire avancer
La COVID-19 étant encore une maladie mal connue, il reste encore bien des secrets à percer et des avenues pour l’étudier. Le groupe COVIDSurg est justement en train d’évaluer la possibilité de refaire une étude sur le même modèle dès l’automne prochain. Parions que le Dr St-Germain sera à nouveau de la partie et qu’il saura convaincre ses collègues de faire équipe avec lui pour faire avancer les connaissances!
Le Dr Pascal St-Germain, chirurgien.