Un moteur nommé apprendre
Quand à 17 ans la vie bascule, on a le choix de s’arrêter ou de foncer. C’est plutôt cette dernière option que Line Beauregard a choisie… et elle en a fait du chemin depuis, menée par le désir d’apprendre, toujours!
Aujourd’hui âgée de 55 ans, Line Beauregard vient tout juste de prendre une retraite hâtive. Elle a bien occupé les 38 dernières années de sa vie, mais plusieurs à sa place auraient abandonné la partie. C’est qu’à 17 ans, un accident de voiture lui a brisé la moelle épinière au niveau cervical : sa dextérité en a été affectée et ses jambes ont cessé de fonctionner. Pourtant, la pensée que cela pouvait l’arrêter ne l’a même pas effleurée.
Avant l’accident, Line voulait devenir hygiéniste dentaire; à cause de sa perte de dextérité, elle n’avait pas le choix de se réorienter. C’est pendant sa réadaptation que le déclic s’est fait : grâce à une psychologue qui lui a donné confiance en ses capacités, celle qui n’avait jusqu’alors jamais envisagé d'aller à l’université en a pris le chemin. « C’est sûr que si je n’avais pas eu mon accident, je n’y serais jamais allée! », raconte Line.
Apprendre, toujours apprendre…
C’est ainsi qu’elle obtient son DEC à Sherbrooke en sciences humaines plutôt qu’en hygiène dentaire, puis qu’elle vient à Québec faire un bac, puis une maîtrise en psychologie. On est alors au début des années 90, et le marché de l’emploi est à peu près à l’opposé de celui d’aujourd’hui : les postes se font rares! Mais grâce au Programme de développement de l’employabilité à l’intention des personnes handicapées (PDEIPH), Line obtient son premier emploi au ministère de la Santé et des Services sociaux, en tant qu’agente de recherche. Elle y reste pendant trois ans, puis comme c’est le cas pour plusieurs de ses collègues, son contrat n’est plus renouvelé.
« Je voulais continuer à travailler en recherche, alors j’ai décidé d’aller porter mon CV directement à des professeurs à l’Université Laval. Et justement, deux d’entre eux, en service social, voulaient embaucher une professionnelle de recherche. L’ambiance était bonne dans l’équipe, c’était stimulant, c’était un milieu d’émulation, et ça m’a donné envie de faire mon doctorat en service social! »
Line se lance donc et, six ans plus tard, avec son doctorat en poche, elle est engagée par le Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS) de l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ). Elle y est d’abord assistante, puis professionnelle de recherche. Elle occupe ensuite un poste de chercheuse pendant six ans, années pendant lesquelles elle travaille sur des projets en réadaptation et intégration sociale des personnes handicapées, tout en étant agente de planification, programmation et recherche au sein de la Direction de l’enseignement et du soutien scientifique de l’IRDPQ. Elle devient ensuite coordonnatrice du comité d’éthique à la recherche de l’IRDPQ.
Puis, un jour, elle voit passer une offre d’emploi pour le Centre SpiritualitéSanté de la Capitale-Nationale, dont le CHU de Québec-Université Laval (CHU) est l’établissement fiduciaire. « Le thème de la spiritualité m’intéressait et eux, ils voulaient une agente de planification, programmation et recherche qui connaît bien la méthodologie de la recherche. J’ai donc été embauchée pour soutenir les projets de recherche et pour guider l’équipe tout au long du processus; monter le projet, écrire le protocole, faire les démarches d’éthique, etc. J’ai découvert un nouvel univers, un tout nouveau champ de connaissances! Maintenant, je suis à la retraite, mais j’apporte mon soutien pour la rédaction d’un article scientifique en lien avec l’un des projets du Centre, et je contribue encore à leur magazine », précise Line.
« Ce que j’ai aimé de mes emplois, c’est de faire de la recherche, mais aussi d’être proche du clinique; j’aime travailler sur des projets qui ont un aspect très concret. Par exemple, l’un des projets de recherche du Centre SpiritualitéSanté sur lequel j’ai travaillé visait à développer un outil d’évaluation pour soutenir le travail des intervenants en soins spirituels, qui a aussi été présenté dans d’autres pays parce qu’il est novateur. Et j’aime surtout apprendre. Je me suis toujours dit que c’était l’
fun d’être payée pour apprendre! »
…Et bouger!
En dehors du travail, Line aime notamment rouler le long de la rivière Saint-Charles jusqu’au Vieux-Port, voyager avec son conjoint (également en fauteuil roulant) et… danser! Tout a commencé lorsque le Carrefour international de théâtre s’est associé avec le Carrefour familial des personnes handicapées : ils ont eu l’idée de la danse et ont approché la chorégraphe Chantal Bonneville. Un groupe de 18 personnes en fauteuil roulant a travaillé avec elle, puis leur chorégraphie est devenue l’un des tableaux du spectacle
Où tu vas quand tu dors en marchant? des années 2011 et 2012. Une partie du groupe a par la suite décidé de poursuivre l’aventure sous le nom de
Gang de roue, et ce, toujours avec Chantal Bonneville qui, à cause de la sclérose en plaques, est maintenant elle-même en fauteuil roulant. Depuis 2012, le groupe se retrouve chaque semaine pour pratiquer et participe à divers spectacles pendant l’année.
« Des fois, je pense aux intervenants dans les centres hospitaliers qui voient les personnes à la suite d’un accident. Ils ne savent pas nécessairement ce que nous sommes en dehors du handicap ou ce que nous devenons après… mais une personne ne se limite pas à ses incapacités et à ses déficiences, il y a une vie en dehors de ça, et pour peu qu’il y ait des adaptations ainsi qu’une ouverture de la société, on peut faire plein d’activités et mener une vie bien remplie. Et on peut même danser! »
Lever les obstacles
L’intégration au travail de Line s’est toujours bien passée. « Dans mon cas, je n’avais pas besoin d’aménagement particulier et j’ai toujours senti un bel accueil des milieux que j’ai fréquentés. Je pense que le monde du travail devrait s’ouvrir plus aux personnes handicapées. Peut-être que le contexte de pénurie de main-d’œuvre dans lequel nous sommes actuellement ouvrira grande la porte du monde de l’emploi… Ces personnes ont beaucoup à apporter, et j’en connais plusieurs qui aimeraient tellement travailler! Les aménagements qui peuvent aider ne sont pas toujours physiques; des fois, c’est plus de souplesse quant au temps, par exemple pour une personne qui a besoin d’aide le matin pour se lever, s’habiller et qui doit attendre qu’un préposé vienne chez elle. Moi, au cours des dernières années, j’ai eu la chance de pouvoir travailler à temps partiel, et ça a fait toute la différence », expose Line.
« En réadaptation, on utilise beaucoup le modèle conceptuel du processus de production du handicap. Et ce modèle postule que l’environnement joue beaucoup sur la manière dont le handicap se vit : le handicap, c’est le résultat de l’interaction entre la personne, ses incapacités et son environnement. Donc ça peut varier dans le temps et selon ce que la personne veut accomplir. Par exemple, si je me rends à un endroit où je peux me stationner facilement, où il y a une rampe d’accès bien conçue et un bouton pour ouvrir la porte, je ne rencontre aucune situation de handicap même si je suis en fauteuil roulant. Mais si j’arrive et qu’il y a un seuil au lieu d’une rampe, ça change tout. Ce que tu as à faire ne se fait plus avec autant de facilité parce qu’il y a un obstacle dans mon environnement. »
Line espère donc que les choses vont continuer à s’améliorer pour les personnes handicapées, que la technologie va poursuivre son développement et la société, son ouverture, mais aussi que des investissements seront faits pour fournir plus d’aide au maintien à domicile. « Avec le vieillissement de la population, on ne pourra pas s’exempter d’investir dans le maintien à domicile », croit-elle.
De la suite dans les idées
« C’est sûr que mon accident, c’est assez négatif comme événement. Pourtant, quand je regarde en arrière, je suis contente de mon parcours. Je me trouve jeune à 55 ans pour arrêter, mais je vais toujours continuer à apprendre des choses et j’aimerais faire du bénévolat. En fait, ce que j’aimais surtout dans mon travail, c’était apprendre, et ça ne va pas arrêter! »
Bonne retraite Line!
Gang de roue
Dans le cadre de la Semaine québécoise des personnes handicapées, qui a lieu du 1
er au 7 juin, la troupe
Gang de roue sera au Musée de la civilisation pour y présenter ses deux plus récentes chorégraphies.
Surveillez le calendrier des activités du Musée de la civilisation au
https://www.mcq.org/fr/
Pour en savoir plus et suivre les activités de
Gang de roue :