Rêver l’avenir

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Par Mario Bélanger – 1er décembre 2023

S’inspirant de la thématique du 25e anniversaire de la création du Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) – La relation au cœur des soins spirituels – l’auteur ose partager ses rêves d’avenir pour les soins spirituels autour de six champs relationnels qui les composent.

 
Fêter 25 ans d’intervention en soins spirituels, au Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté), est une occasion de mesurer le chemin parcouru et d’apprécier la situation actuelle sous différents angles : fidélité ou écarts avec la mission, avancées ou reculs dans la façon d’incarner les soins spirituels, évolutions ou retards dans le développement souhaité, pour ne nommer que quelques enjeux. Comme dans toute bonne relecture, il s’y discerne aussi des appels, ce qui procure une chance de se projeter dans l’avenir pour continuer la route avec un nouvel élan. C’est ce dernier pari que nous prenons humblement dans cet article qui s’attardera davantage à la dimension clinique des soins spirituels.
 
La relation au cœur des soins spirituels est le thème de ce 25e anniversaire. Mon collègue Stéphane Lelièvre a fait une brillante relecture des vingt-cinq premières années de vie du CSsanté dans son article Développer une pratique professionnelle au diapason de la société québécoise en évolution paru dans le dernier numéro de cette revue. Il concluait son article en disant que ce sont donc les relations qui ont permis de nombreux carrefours d’échanges, de réflexion, de conception, de réalisations concrètes se voulant toujours au service de notre raison d’être : nos relations quotidiennes avec les usagers et leurs proches, relations visant à les soutenir et les accompagner de manière pertinente face à la maladie et la souffrance, dans un horizon d’espérance. Mais comment cela pourrait-il continuer de s’incarner pour les années à venir? Permettons-nous de rêver ensemble!
 

La relation avec les personnes hospitalisées, hébergées, suivies à domicile ou en externe

Les commentaires reçus formellement ou informellement sur la relation que les intervenants en soins spirituels (ISS) entretiennent avec les personnes accompagnées sont généralement positifs, pour ne pas dire élogieux. Comme la plupart des usagers ne connaissent pas la possibilité d’être accompagnés dans leur vie spirituelle, au sein même du système de santé, ils reflètent souvent que c’est une « belle surprise ». Ils ajoutent la plupart du temps que ce service devrait être mieux connu ou plutôt connu pour ce qu’il est vraiment au-delà de certains préjugés qui peuvent faussement persister dans le temps. Rêvons que la connexion entre l’usager et l’intervenant en soins spirituels, lorsqu’elle est indiquée, se fasse de façon de plus en plus fluide (meilleur dépistage par les professionnels qui soignent la personne, présentation juste du service proposé, campagne de visibilité sur l’apport unique des soins spirituels, etc.).

Je constate que cette recherche intérieure, ce désir profond de contacter le calme et la paix, est commun à tout être humain. Toutes ces personnes que j’accompagne, qu’elles aient 30-40-50-75 ans-, crient haut et fort ce désir de vivre et d’accéder à cette paix permettant de poursuivre leur route avec dignité. Martine Fortin, intervenante en soins spirituels
Centre intégré de cancérologie (CIC) – CHU de Québec–ULaval

Être écoutée, être entendue, être comprise, être reconnue et respectée d’abord comme être humain à la recherche de sens, et ensuite comme patiente et partenaire dans son parcours de traitements et de soins m’a permis de retrouver confiance. Témoignage d’une usagère du Centre intégré de cancérologie (CIC) – CHU de Québec–ULaval

 

La relation entre les ISS

En période de remous, comme celle que nous avons vécue ces douze dernières années, la force du CSsanté a été de créer un esprit de corps pour développer des soins spirituels au diapason de notre société. Toutefois, le risque qu’il se développe un esprit de clan demeure. Et cela vaut à l’échelle d’une équipe, d’un service, d’une institution, de la province, voire de la francophonie! Sans se recentrer sur une visée mobilisatrice, il y a fort à parier que ce sera difficile de fédérer les forces pour y arriver. Je soutiens que le sujet principal dans un positionnement juste et porteur, c’est l’usager. Et que tant que notre lorgnette ne sera pas orientée prioritairement vers lui, la relation entre ISS se fera de façon chaotique. Chaque ISS a dans son histoire récente des rencontres d’accompagnement qui ont fait la différence dans la vie de M. Untel, de Mme Unetelle ou de leurs proches. Comment ne pas faire front commun face à cet état de fait? Pour reprendre une image célèbre, pourquoi ne pas rêver de ponts plutôt que de murs, entre nous, acteurs des soins spirituels? Il est grand temps, pour notre monde et pour nous!

Je me plais souvent à répéter que les deux qualités de base des soignant.e.s sont d’aimer les gens et d’aimer le trouble. À titre d’intervenant en soins spirituels, je me retrouve souvent à accompagner des enfants, adolescent.e.s, jeunes adultes et leurs parents à des moments charnières de leur vie, au milieu de la détresse. Ces rencontres sont denses. Il est bouleversant et beau d’assister l’humain dans ses passages. Ces « instants », lorsqu’ils sont accueillis et partagés, donnent souvent du sens à ce qui n’en a pas. Ils deviennent nourriture pour le cœur et l’âmeNicolas Desbiens, intervenant en soins spirituels, Centre mère-enfant Soleil du CHUL – CHU de Québec – ULaval

Vous avez su rendre ce cheminement apaisant et sécurisant, malgré toute la souffrance qui m’habitait. Vous m’avez fait réaliser que je ne souffrais pas à cause de ma fille, mais je que souffrais plutôt avec elle. Vous m’avez permis de m’attacher à F. et de l’aimer comme si elle était éternelle. Aujourd’hui, je suis plus que reconnaissante que nos chemins se soient croisés. Témoignage d’une mère du Centre mère-enfant Soleil du CHUL – CHU de Québec – ULaval dans un contexte d’arrêt de traitement.

 

La relation avec les autres professionnels

L’article précité présente bien le changement de paradigme qu’a représenté le nouveau titre d’emploi d’intervenant en soins spirituels, accompagné d’un nouveau libellé de ses tâches et responsabilités. D’un statut de paraprofessionnels, pourrait-on dire, les ISS ont été lancés dans l’arène professionnelle et qui plus est, celle de l’univers médical. Mon collègue a déjà élaboré sur le risque que nous avions d’y « perdre notre âme », en calquant nos concepts, nos modèles, nos outils et nos interventions sur ceux d’autres professionnels de la relation d’aide, qu’on pourrait estimer bien plus qualifiés que nous en ce domaine. Les ISS et plusieurs de leurs collègues des équipes interdisciplinaires saisissent de mieux en mieux qu’au-delà des questions biopsychosociales de la personne fragilisée par les déficiences physiques ou mentales, émergent des enjeux profonds qui touchent à une autre dimension plus invisible, mais non moins fondatrice de l’expérience de cette personne. Nous l’appelons ouverture à une expérience de transcendance. Dans une approche holistique, il est fondamental d’en prendre soin! Je rêve que nous trouvions ensemble les mots pour rendre la collaboration interprofessionnelle plus fluide, plus inclusive de la dimension spirituelle commune à tous les humains et à tous les modèles de soins dignes de ce nom, et ce partout dans le monde.
 

La relation entre établissements partenaires1

On l’a vu, une relation d’affaires entre partenaires du réseau de la santé a été à l’origine du CSsanté. Elle a perduré. À ma connaissance, les relations entre les établissements partenaires ont été cordiales et productives, du moins en ce qui concerne les orientations globales du CSsanté. Le dialogue et l’investissement de chacun sont primordiaux pour qu’une organisation comme celle-là dure dans le temps. Pour la pérennité de la mission globale du CSsanté et donc de services de pointe à nos clientèles, rêvons que cet esprit déjà bien installé se consolide dans les prochaines années. L’autre partenariat à maintenir absolument, c’est le lien avec la Faculté de théologie et des sciences religieuses de l’Université Laval. Dans une autre perspective, il est intéressant de voir poindre une mobilisation des gestionnaires de soins spirituels au Québec qui se concertent autour d’un groupe informel sur une plateforme virtuelle… De même pour l’initiative du Grand round des soins spirituels, une série de quatre rencontres de formation continue pour les ISS de tout le Québec… Cela peut donner l’idée de rêver grand!

Dans mon accompagnement de la dimension spirituelle de la personne, son récit de vie joue un rôle déterminant. C’est par la connaissance de cette histoire de vie qu’il est possible de cibler ce qui a été appui spirituel pour la personne. Dans mes interventions, je mobilise cet appui pour favoriser la continuation d’un récit de vie qui s’écrit toujours dans le temps malgré l’arrivée de la maladie. Maude Daigneault, intervenante en soins spirituels, Centre d’hébergement Saint-Augustin – CIUSSSCN

Lorsque j’ai appris que mon copain avait décidé d’avoir l’aide médicale mourir (AMM), une chance que vous étiez là pour me ramasser. J’avais besoin d’une présence qui allait pouvoir m’entendre dans un moment où je me sentais devenir complètement folle. Alors que je passais dans le corridor et que j’avais l’impression d’être dans le noir, vous m’avez interpelée, puis vous avez sûrement ressenti que je n’allais pas bien. Vous m’avez invitée dans votre bureau avec délicatesse. Témoignage d’une résidente atteinte de paralysie cérébrale du Centre d’hébergement Saint-Augustin – CIUSSSCN

Le mot hospitalliance n’existe pas dans le dictionnaire, mais il décrit tellement bien mon travail au quotidien. Pour moi, vivre l’hospitalliance c’est accompagner, mais aussi se laisser accompagner par les personnes qui nous sont confiées. C’est voir toute la beauté et l’efficacité du « hors norme », c’est-à-dire exprimer un type de présence qui sort parfois de la description ou du libellé de ma profession. L’hospitalliance, c’est savoir accepter l’identité qu’on me donne à priori et ce n’est qu’en l’acceptant que commence la route d’un accompagnement efficace. Faire de l’hospitalliance c’est s’exposer en vérité, se laisser accueillir, se laisser déplacer et reconnaître. Sylvie Boulet, intervenante en soins spirituels, Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ) – CIUSSSCN

Lorsqu’on s’est parlé, je me suis sentie en comprise et non jugée. J’ai vu que cela t’intéressait. Merci ! Témoignage d’une patiente de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec

 

La relation avec la société

Les milieux de soins de santé et de services sociaux sont bien sûr intégrés à la société, mais tout citoyen n’est pas toujours en lien direct avec eux. Nous pouvons nous en réjouir, car cela peut vouloir dire qu’ils ne vont pas trop mal. Toutefois, dans une recherche de promotion de la santé, de même que d’équité, diversité et inclusion ou de solidarité sociale, la littérature démontre que la spiritualité sainement vécue et accompagnée devient un déterminant de santé fondamental. Rêvons qu’elle trouve sa place dans les orientations, les plans d’action, les objectifs et les actions non seulement de la santé publique, mais de toutes les directions des réseaux de la santé, des services sociaux et de l’éducation, pour ne nommer que ceux-là.
 

La relation avec le tout-autre

Ce sera mon dernier point… et non le moindre! Oserai-je rêver jusque-là? Et pourquoi pas ? Je l’ai déjà nommé plus haut, ce qui rend notre posture professionnelle unique, c’est d’offrir à l’usager la possibilité d’une ouverture à l’expérience de transcendance. Je pousse le bouchon un peu plus loin. Ouvrir la possibilité à l’autre veut nécessairement dire, selon moi, l’avoir déjà expérimenté pour soi-même. Non seulement l’avoir expérimenté, mais l’avoir accueilli, décortiqué, réfléchi, assumé. En d’autres mots, je rêve que chaque ISS ait exploré en profondeur ce qu’est sa relation avec le tout-autre, l’altérité ou Dieu – nommons-le comme nous voulons - et comment cela lui a permis et lui permet encore d’assumer certaines impasses de sa vie. Alors il pourra devenir un guide, un sherpa pour l’usager. Parmi les lieux privilégiés pour ce faire, en plus de la nécessaire formation initiale avec stage clinique, nommons l’accompagnement spirituel personnel ou les groupes de développement de la pratique professionnelle. Mais cela peut aussi se vivre à la faveur de l’appartenance à une communauté signifiante, par des séjours de silence, par une démarche thérapeutique ouverte à la dimension spirituelle, par la pratique assidue de la méditation de pleine conscience, par une amitié profonde et sincère, etc. Il en est de même pour tout professionnel, quel que soit son titre d’emploi. Nourrir sa vie spirituelle rend sensible à celle de l’usager et contribue à son accompagnement global. Les voies sont nombreuses, mais la visée – le mieux-être de l’usager -  n’en sera que renforcée.
 
Comme pour tout groupe d’humains, les enjeux relationnels sont nombreux et complexes. Beaucoup plus nombreux et complexes que ceux que je viens d’élaborer brièvement. Il y aurait notamment lieu de faire le même exercice pour les autres missions du CSsanté que sont la recherche, la formation, l’enseignement et l’humanisation des soins. Le momentum me semble bon, dans notre réseau comme dans la société québécoise, pour entrer dans un dialogue difficile, mais fécond concernant la place de la spiritualité dans cet univers où se côtoient courage et vulnérabilité. Puisse cet élan du cœur y contribuer un tant soit peu.
 

Note

1   Les trois établissements partenaires actuels sont : Centre hospitalier universitaire de Québec – Université Laval (fiduciaire), Centre intégré universitaire de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale et Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec – Université Laval.
 



Mario Bélanger est intervenant en soins spirituels depuis plus de 18 ans et coordonnateur professionnel depuis environ 10 ans au Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté). Il est diplômé de la Faculté de théologie et des sciences religieuses de l’Université Laval (baccalauréat et programme de maîtrise en accompagnement spirituel en milieu de santé). Il est professeur associé pour cette même institution depuis 2019. En 2001, il a obtenu un diplôme spécialisé en accompagnement spirituel ignacien du Centre de Spiritualité Manrèse. Il a participé activement à la réflexion, à la structuration et à la mise en place d’outils cliniques et de formations visant la professionnalisation des soins spirituels au Québec. Il a notamment collaboré à la rédaction d’un article sur la rédaction des notes au dossier en soins spirituels.


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