La relation au cœur des soins spirituels



L’année 2023 marque les 25 ans de ce qui était au départ un projet novateur, distinctif et inclusif; celui de regrouper les services de soins spirituels de la grande région de Québec et ainsi créer le Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté).


Ce projet d’envergure répondait à la volonté des établissements de santé (CHU de Québec – Université Laval, CIUSSSCN, IUCPQ) d’assurer le fonctionnement au quotidien des services de soins spirituels, en collaboration interdisciplinaire, afin de répondre aux besoins spirituels et religieux des usagers hospitalisés et hébergés, et ce, dans le respect de leurs croyances et de leur culture. Depuis, le CSsanté, n’a jamais cessé de croire en la relation de soutien et d’accompagnement spirituels apportée aux usagers dans le réseau de la santé.

Pour profiter pleinement de cet événement, Spiritualitésanté vous propose deux articles :
 

Développer une pratique professionnelle au diapason de la société québécoise en évolution

Par Stéphane Lelièvre


 

Être en relation | un désir essentiel dont témoignent les soins spirituels

Par Gaston Mumbere

 


 

Développer une pratique professionnelle au diapason de la société québécoise en évolution






Par Stéphane Lelièvre, intervenant en soins spirituels – 1er août 2023

L’avènement d’un regroupement régional en soins spirituels à la fin des années 90 est arrivé dans un contexte de nécessité. Nécessité de maintenir des services d’accompagnement spirituel accessibles et de qualité aux usagers du réseau de la santé de la ville de Québec. Réalisation unique qui a duré dans le temps. La relecture de ses 25 ans d’existence met en lumière comment le tissu de relations au sein de l’organisation a permis et permet encore de réaliser la mission : offrir aux usagers et à leurs proches une relation d’accompagnement qui apporte la paix et l’espérance.

Nous sommes en 1998. Un aumônier est appelé parce qu’un patient se trouve dans un état critique dans une salle d’opération d’un hôpital de Québec. Le personnel, face au risque de le perdre, appelle afin que ce patient reçoive « l’extrême Onction ». On n’est pas certain si cette personne aurait souhaité recevoir ce dernier sacrement de l’Église, mais on ne prend pas de chance : ça fait encore partie du protocole dans cet hôpital, et c’est encore cohérent avec les pratiques religieuses d’une majorité de personnes à Québec.

Nous sommes en 2023. Une jeune intervenante en soins spirituels (ISS) est appelée pour rencontrer une patiente qui songe à demander l’aide médicale à mourir. Celle-ci se sent incertaine face à cette décision radicale et elle souhaite en parler avec l’ISS, afin de voir plus clair dans son processus de discernement. Elle précise qu’elle est distante par rapport aux religions.

25 ans se sont écoulés.

J’ai choisi ces deux exemples très campés afin de mettre en lumière l’évolution étonnante qu’ont vécu les services de soins spirituels dans le réseau de la santé à Québec depuis la création du Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (nommé Service régional de pastorale de la santé à l'origine) le 1er avril 1998.

Cette évolution, au diapason de la société québécoise en transformation, porte la marque d’un regroupement unique. En effet, autant qu’on le sache, rien de tel n’existe dans le monde comme rassemblement structuré des ressources au service d’une population au plan des soins spirituels ou du spiritual care comme disent nos amis européens.
 

Les années d’effervescence

Au cours des années 90, il y a eu une vaste reconfiguration du réseau de la santé au Québec. On observait aussi une mouvance plus sentie au plan spirituel et religieux. Pendant de nombreuses décennies, le spirituel au Québec était majoritairement synonyme de religion catholique. Or, dans la décennie 90 on voit des signes d’une diversité grandissante dans les modalités de la quête spirituelle; une tendance qui n’a fait que s’accélérer au cours des deux décennies suivantes jusqu’à aujourd’hui.

Dans ce contexte, il y avait une hémorragie des postes en pastorale de la santé. Par exemple, lorsqu’un aumônier quittait son poste, souvent à bout d’âge, le poste n’était pas renouvelé. Qui plus est, on remettait de plus en plus en question dans le réseau la pertinence du rôle en pastorale de la santé, vu le pluralisme grandissant sur ce plan et vu la restriction des budgets en santé. Aussi, il fallait briser l’isolement des animateurs de pastorale (majoritairement prêtres) et des quelques animatrices, qui œuvraient en silo souvent seuls, dans leurs établissements respectifs. Un autre impératif était de veiller à assurer une compétence adéquate des effectifs, et donc de consolider le processus de formation initiale et continue.

Face à cette situation de plus en plus critique, monsieur Jacques Vézina, responsable du service de pastorale de l’hôpital de l’Enfant-Jésus à l’époque et responsable des stages de formation de l’Association canadienne pour la pratique et l’éducation pastorale (ACPEP) - association qui offrait la formation pour travailler en pastorale de la santé pour la région de Québec, - a eu cette idée originale et audacieuse d’un regroupement des ressources humaines et matérielles de tous les services de pastorale des établissements de santé de la ville de Québec.

Plus facile à dire qu’à faire ! Mais comme on dirait avec une petite touche ésotérique, les planètes étaient bien alignées ! À cette époque - et jusqu’en 2010 d’ailleurs - c’était le diocèse qui veillait à mandater des animateurs et animatrices de pastorale formés pour la pastorale de la santé. Il fallait donc avoir le soutien de l’évêque de Québec dans ce projet, de même que l’accord explicite de chaque directeur d’établissement de santé de la ville. Ce qui fut fait, après quelques années de travail pour élaborer le projet, l’expliquer, établir toutes les communications nécessaires, et rassembler les statistiques pertinentes pour convaincre tout le monde. Car il n’y avait pas de précédent ! C’était inédit.

Les résultats ont été rapidement observables. Le regroupement d’une quarantaine d’animateur et animatrices de pastorale, ainsi que d’autres professionnels dont un graphiste et un responsable de la recherche, structurés par un organigramme administratif efficace, a favorisé l’élargissement de la mission. Nous pouvions dès lors assurer non seulement une meilleure qualité de réponse aux besoins spirituels et religieux de nos contemporains face à la maladie, mais aussi développer un secteur d'enseignement et de recherche d’avant-garde, et offrir une diffusion du savoir à l’échelle provinciale.

« Un regroupement régional était une solution à privilégier pour créer cette masse critique qui a ouvert la voie… » écrivait en 2003 monsieur Louis Lavallée, directeur des services hospitaliers du Centre hospitalié affilié Universitaire de Québec (CHA).
 


 
Depuis 25 ans, le CSsanté a changé trois fois de nom :
  • ​1998 : Service régional de pastorale de la santé (SRPS)
  • 2001 : Centre de pastorale de la santé et des services sociaux (CPSSS)
  • ​2011 : Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté)



Parmi les nombreux effets concrets et rapides, on note la création de la Chaire Religion, spiritualité et santé en partenariat avec la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, qui avait pour but de favoriser la recherche en lien étroit avec la pratique clinique en vue de générer une meilleure compétence clinique. On note aussi, au plan administratif, le comité aviseur (devenu comité d’orientation à ce jour) composé d’un représentant de chaque établissement, comité qui assurait un contact avec chaque milieu et qui favorisait un développement au diapason des besoins réels du terrain.  Au plan clinique, la structuration d’une garde 24/7 en grand réseau a permis une réponse en continu aux besoins de la population hospitalisée et hébergée tout en allégeant grandement la charge de travail de chacun puisqu’elle était dorénavant partagée. Ajoutons enfin, au plan de la qualité de la pratique, la rédaction d’un code d’éthique en pastorale de la santé.

D’autres réalisations cliniques innovatrices des premières années témoignent de ce renouveau. Notons par exemple des séries d’ateliers spirituels donnés au Faubourg St-Jean à la clientèle souffrant de troubles de la personnalité limite. Aussi, la création d’ateliers offerts en petits groupes au CRUV (aujourd’hui le CRDQ) à la clientèle souffrant de dépendances.

L’effet le plus essentiel se trouvait cependant dans ce qui ne se voit pas, à savoir les multiples relations et collaborations entre les animateurs de pastorale, les coordonnateurs, le directeur, le personnel administratif, le graphiste, les partenaires et collaborateurs. Le dialogue était maintenant ouvert, l’isolement brisé. La réflexion et les idées circulaient. Des petits comités mettaient en branle plusieurs projets. Les relations professionnelles entre nous favorisaient la qualité de nos relations avec les usagers et leurs proches. C’était l’aurore d’une belle aventure!
 

Consolider le rôle | les années 2000

Le début du troisième millénaire, de 2000 à 2010, a principalement été pour nous une phase d’approfondissement et de consolidation de notre rôle professionnel en devenir. Sans perdre de vue le côté « ministère » qui nous caractérisait, nous devions creuser davantage pour comprendre comment mieux accompagner au plan spirituel nos contemporains dans une société pluraliste et diversifiée.

Nous avons d’abord entrepris de nommer les valeurs fondamentales qui habitent notre pratique clinique auprès des usagers et de leurs proches. Un discernement spirituel communautaire a mis en lumière que la compassion, le respect profond et l’espérance nous animent. Déjà, notamment dans l’espérance, nous voyons poindre l’horizon de transcendance qui nous démarque de tous les professionnels.

Ces valeurs devaient prendre corps dans une approche plus consistante de l’accompagnement spirituel. C’est alors que nous avons élaboré la première version de notre modèle d’intervention en pastorale de la santé, qui reposait sur nos valeurs fondamentales et sur des postulats de base. Ce modèle tentait de mettre des mots sur ce qui se passe dans la relation entre un professionnel de l’accompagnement spirituel et une personne (usager, proche) qui fait face à l’épreuve de la maladie physique ou mentale. Le mouvement du modèle était que l’ouverture à la dimension spirituelle de l’expérience vécue par l’usager (qu’elle soit liée à une religion ou non), prometteuse de paix et d’espérance, passait par l’écoute de la profondeur de l’humain. Ce modèle affirmait ainsi que même l’accompagnement d’une personne dite athée était tout-à-fait pertinente et ouvrait explicitement nos services cliniques à toute personne, croyante ou non.

De façon encore un peu confuse et embryonnaire, nous saisissions notre couleur spécifique dans ce monde professionnel : nous étions le signe essentiel d’une troisième dimension dans l’humain (les deux premières étant le corps et la psyché ou le biopsychosocial), la vie spirituelle comme ouverture à la transcendance, qui représente ultimement le pôle intégrateur de toute personne, le chemin d’humanisation.

La professionnalisation nous a amenés à devenir des acteurs visibles dans le dossier de l’usager. Nous avons appris la rédaction de notes au dossier et nous avons dû être créatifs puisqu’il n’y avait pas de pratique à cet égard auparavant. Cela a donné naissance à notre premier guide de rédaction au dossier de l’usager, guide qui proposait déjà une lecture réflexive des besoins spirituels/existentiels de l’usager, fruit du premier modèle d’intervention et précurseur de nos futurs repères pour l’évaluation en soins spirituels.
 

Les grandes bases étaient en place

Au fil de ce chemin, nous nous sommes aussi penchés de plus près sur les besoins de nos usagers. Cela a donné lieu à une enquête systématique des besoins, avec des questionnaires et une analyse finale. De là nous avons bâti des programmes clientèles qui venaient spécifier davantage les manières de mieux accompagner nos usagers en fonction de leurs diverses problématiques de santé et de leurs besoins particuliers. Cela venait donner de la chair à notre approche de l’accompagnement spirituel, en suggérant notamment que les animateurs de pastorale (que nous étions encore à l’époque) pouvaitent devenir plus aguerris auprès de certains types de clientèles, tout en restant des généralistes.

Nous avons produit plusieurs outils utiles au travail clinique, notamment le livret d’accompagnement spirituel Parle-moi, de même que pour les animations de groupes et de milieux lors d’événements particuliers, par exemple le coffret Rentrer chez soi, ainsi que les cartes et posters de la  Journée mondiale des malades qui proposaient une démarche.

Nous avons été aussi très prolifiques au plan de la formation et de la diffusion du savoir. De nombreuses formations ont été sollicitées auprès de nous par d’autres milieux de soins dans d’autres villes. Notons par exemple une formation sur la notion de diagnostic pastoral qui émergeait à l’époque. Une activité majeure de diffusion du savoir s’adressait annuellement à l’ensemble du personnel du réseau de la santé autour d’un thème lié à la spiritualité :  la journée-conférence du CPSSS . À titre d’exemple, la journée sur le thème du Guérisseur-blessé avec Jean Montbourquette. Ces journées, avec des conférenciers invités reconnus, ont attiré chaque année de nombreux participants provenant de diverses professions du réseau.

Il faut mentionner la création durable de la revue Spiritualitésanté, qui propose un lieu de réflexion, d’analyse, d’information et d’échanges sur les questions qui évoluent à l’intersection des champs de la spiritualité et de la santé. Cette revue est accessible dans la francophonie mondiale via internet.

L’apogée de cette prolifique décennie a probablement été la rédaction en commun (un quinzaine d’animateurs de pastorale étaient impliqués dans la réflexion et la rédaction) du Projet de service du CPSSS en 2009, combinée à la journée-conférence avec le professeur et auteur Michel Fromaget, anthropologue, au cours de cette même année. Ces deux événements marquants ont mis en lumière notre caractère spécifique et notre pertinence dans les milieux de soins, à savoir notre perspective anthropologique radicalement différente des autres professions, et donc notre posture d’écoute et d’accompagnement uniques. Notre défi, toujours actuel, n’en devenait que plus clair, à savoir la collaboration interdisciplinaire tout en maintenant notre visée fondamentale unique.

Comme toute vague de fond, la progression de cette prise de conscience chemine lentement, graduellement, encore aujourd’hui.
 

Se transformer et se développer : les années 2010

D’entrée de jeu, cette décennie est marquée par un changement structurel et un changement de titre d’emploi. En effet, en février 2010 l’édition des nouvelles orientations ministérielles ont induit l’abolition du mandat pastoral comme exigence d’emploi. Puis, en février 2011 est arrivé le changement de titre d’emploi pour Intervenant en soins spirituels ainsi que le libellé des tâches des ISS.
 


 

Les employés des services de soins spirituels ont connu deux nomenclatures d’emploi :
  • ​1998 : Animateur.trice de pastorale

  • 2011 : Intervenant.e  en soins spirituels
     


 

​Intervenant.e  en soins spirituels
  • Personne qui exerce des activités de soutien et d'accompagnement spirituel et religieux des usagers, à leur famille ainsi qu'à leurs proches.
  • Elle voit à planifier, réaliser et évaluer des activités d'ordre spirituel et religieux. Elle effectue des visites d'accueil aux usagers et identifie leurs besoins spirituels et religieux. Elle répond aux consultations en matière théologique, spirituelle ou éthique, participe aux équipes interdisciplinaires et apporte un support moral aux familles des usagers.
  • Doit détenir un baccalauréat en théologie, en pastorale, en sciences religieuses ou dans une autre discipline universitaire appropriée.


Fiche d’emploi – Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux
 



Il s’agit d’un grand coup de vent face auquel, heureusement, la vague de fond initiée en 2009 nous a préparés. En effet la percée lumineuse que nous avons eue allait nous permettre de maintenir la même visée fondamentale au cœur des changements de surface qui allaient suivre.

Ces changements, qui s’inscrivaient dans une certaine cohérence avec l’évolution de notre société dans son rapport au spirituel et au religieux, représentaient un grand défi que nous n’avons pas fini d’intégrer. Ils venaient essentiellement dire à nos contemporains que nous leur offrions dorénavant un service non-confessionnel, un accompagnement spirituel à distance ou en amont des religions; une approche neutre. Il y avait un grand péril de perdre notre posture d’écoute ternaire qui est notre caractère spécifique, bref un danger de perdre notre raison d’être dans le réseau public.

L’élaboration de nos repères pour l’évaluation en soins spirituels, réalisation majeure de cette décennie, nous a enraciné dans notre raison d’être. Il s’agit d’un outil important pour guider nos interventions cliniques et la rédaction de notes au dossier, ainsi que pour parler de notre rôle aux autres professionnels. Au cœur des repères est nommée notre visée fondamentale, écho de la percée lumineuse de 2009, soit l’ouverture à l’expérience de transcendance. Notre bateau a ainsi su garder le cap malgré les grands vents.

Cette décennie a donc été marquée par cette transformation, qui se voulait toujours en réponse aux besoins spirituels de nos usagers dans une société en évolution.
 


 
Nombre de milieux couverts par les services de soins spirituels
  • 1998-1999 : 28
  • 2008-2009 : 32
  • 2021-2022 : 34



De nombreuses enquêtes sur les besoins réels de nos usagers sur le plan spirituel ont d’ailleurs jalonné les dix dernières années, par exemple les projets de recherche d’envergure sur les besoins des personnes en soins palliatifs à domicile, de même qu’auprès de la clientèle en soins palliatifs à l’hôpital.

Ces recherches ont permis notamment de formuler des indicateurs de référence en soins spirituels, favorisant une amélioration de la collaboration avec le personnel qui pouvait nous référer davantage d’usagers ayant des besoins spirituels.

Enfin, signe des temps, de nombreux ISS ont reçu une formation en méditation de pleine conscience afin de guider des usagers dans la pratique de la méditation, en vue d’un mieux-être. De nombreux usagers ont bénéficié de nos sessions de huit semaines au cours des dix dernières années.
 

L’avenir

L’avenir apparaît ensoleillé, puisque des espaces de dialogues cliniques en profondeur au sein de notre organisation se sont instaurés. Mentionnons notamment les ateliers de développement de la pratique clinique, qui favorisent des échanges et des réflexions cliniques entre les ISS, assurant ainsi un développement pertinent de nos interventions pour répondre de façon encore mieux ajustée aux besoins spirituels des usagers, au diapason de l’évolution de notre société.
 

Cette relecture non-exhaustive du parcours de notre organisation depuis son commencement a voulu mettre en lumière comment la création elle-même d’une organisation régionale en soins spirituels, réalisation inédite faut-il le rappeler, représente un tissu de relations entre ISS guidés par le leadership d’une direction (titre qui est devenu plus tard coordonnateur régional), d’une équipe de coordonnateurs professionnels, d’agents de planification-programmation-recherche (APPR), d’une équipe administrative compétente, d’un graphiste professionnel et appuyés par de nombreux contractuels et collaborateurs.

Qu’est-ce qui a fait le succès de ce regroupement ? Une grande part de la réponse se trouve dans la cohésion et la synergie des interrelations entre chacun , quel que soit son rôle au sein de l’organisation. Ajoutons la bonne volonté et le sentiment d’appartenance. Tous se sentaient porteurs ensemble de la mission du CSsanté, cherchant en priorité la qualité et l’accessibilité des services cliniques à la clientèle, ainsi que la formation initiale et continue, la recherche, et l’humanisation des soins.

Ce sont donc les relations qui ont permis de nombreux carrefours d’échanges, de réflexion, de conception, de réalisations concrètes se voulant toujours au service de notre raison d’être : nos relations quotidiennes avec les usagers et leurs proches, relations visant à les soutenir et les accompagner de manière pertinente face à la maladie et la souffrance, dans un horizon d’espérance.  
 


 

Être en relation | un désir essentiel dont témoignent les soins spirituels






Par Gaston Mumbere, intervenant en soins spirituels – 1er août 2023
 
Alors que le Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) célèbre cette année ses 25 ans, « la dimension relationnelle dans les soins » fut identifiée par les intervenants que regroupe cette structure comme étant le fondement de ce qui caractérise leur profession. Ici, l’intention ne consiste pas à démontrer la pertinence de l’humanisation des soins ni du rôle indispensable des soins spirituels dans la prise en charge des personnes malades. Il s’agit plutôt de discerner ce qui fonde ces relations et d’apprécier les déplacements significatifs qu’elles opèrent dans la rencontre avec l’humain et particulièrement l’humain souffrant de maladie. En d’autres termes, comment et pourquoi les intervenants en soins spirituels (ISS) ou d’autres professionnels ou encore les usagers tiennent-ils tant aux relations comme dimension indispensable aux soins? Précisément, de quelle sorte de relations parle-t-on comme élément essentiel pour le travail des ISS?
 

À quoi ressemble le travail des ISS dans le quotidien?

De manière générale, les ISS vont répondre aux besoins d’accompagnement formulés par les équipes de soins ou par les usagers ou leurs proches. Dans d’autres cas de figure, des accompagnements ont lieu lors des visites d’accueil initiées par l’ISS. Le motif d’accompagnement devient donc nécessaire et précède toute visite. Ces requêtes se formulent le plus souvent en termes de besoin : besoin de verbaliser ou du soutien moral face à un nouveau diagnostic, face à la peur de la mort, face à l’anxiété, à l’angoisse ; besoin de se confier, de faire le bilan ; besoin de discerner face à une décision à prendre, sur le sens de la vie, ou encore, besoin du soutien aux pratiques religieuses. En réponse à ces besoins, l’ISS posera normalement des interventions en cohérence avec son évaluation. Le plus souvent, ce sont ces interventions qui retiennent l’attention des observateurs et servent à définir le travail des ISS. On dira par exemple : un ISS est un professionnel qui écoute, qui apporte du soutien moral et favorise la paix pour les malades ; ou encore, l’ISS est cette personne qui facilite le discernement, l’acceptation de la trajectoire de soins et offre des rituels adaptés à chaque situation. D’après cette description sommaire où l’ISS doit répondre aux besoins formulés dans la requête, on voit qu’il est difficile de saisir la spécificité de la dimension relationnelle dans les soins. Pour s’en apercevoir, un nouveau regard mérite d’être posé, et ce, au-delà des réponses apportées aux requêtes.
 

Tout semble se jouer dans la manière de se disposer

Je me souviens d’une récente rencontre non planifiée survenue en fin de journée. La dame m’interpelle alors que je viens de terminer une rencontre avec sa voisine de chambre. « Puis-je moi aussi vous parler? », demande-t-elle. Avant même d’entendre ce qu’elle désire me partager, il semble que l’essentiel s’est déjà joué pendant qu’elle m’observait échanger avec sa voisine. Elle voyait, mais la distance qui nous séparait ne saurait lui permettre d’entendre ce qu’on se disait. Tout semble indiquer que madame désirait nous parler à la manière de ce qu’elle observait. Elle n’observait pas deux individus ensemble, mais deux personnes qui se rencontrent, car de toute évidence, il ne suffit pas toujours d’être ensemble pour être vraiment en rencontre. Ici, ce qui m’interpelle davantage c’est le « moi aussi » qui est dans sa question. Cela ne voudrait pas dire qu’elle a les mêmes préoccupations que sa voisine, mais par sa question, on voit qu’elle désire une rencontre, une relation comparable à celle qu’elle vient d’observer. Autrement dit, le contenu arrive en second lieu ; ce qui est premier, c’est ce qu’on observe, ce qui est disposé dans la rencontre. La dame observait deux personnes l’une assise à côté de l’autre et non en face à l’autre. En première vue, la disposition semble banale dans cette scène, et pourtant c’est là que tout se passe, que tout se joue. L’enjeu de prendre soin de la disposition devient alors essentiel et s’explique en cohérence avec le sens qu’on donne à l’accompagnement spirituel : marcher avec l’autre, à ses côtés et non devant lui ni après lui, encore moins en face de lui.
 
En effet, presque toujours, les « malades » subissent des relations de type face-à-face. En tant que « malades », ils reçoivent des soins, des visites, des formulaires, ils sont face aux décisions à prendre, ou ils sont face à eux-mêmes, comme ce fut le cas de cette dame qui désirait elle aussi nous parler : je m’assois sur une chaise que je dispose de manière décalée. Tout de suite les larmes coulent de ses yeux ; puis elle me partage son désarroi et surtout son dilemme. Elle doit prendre une décision le plus rapidement possible : subir une opération à haut risque ou accepter de passer en soins palliatifs. Elle se sent seule face à ce dilemme, elle en ressent le poids, car même ses enfants attendent son oui ou non face l’opération. La tentation est grande : vouloir l’aider à résoudre ce dilemme alors qu’initialement, elle désirait nous parler à la manière de ce qu’elle venait de voir. Entre-temps, au cours de la rencontre, remarquons que Mme place l’accent ailleurs que sur ce dilemme. Elle fait une sorte de relecture de sa vie de couple, de famille, et souvent elle revient sur ce qui compte aujourd’hui pour elle. Elle use de l’humour, relativise le ciel, elle rit malgré la peine, et délicatement, elle nous tient la main, tout en nous remerciant dans un ton rassurant et paisible : « merci de m’avoir permis de vivre ce moment qui me fait du bien » dit-elle. Puis on se sépare. La suite de l’histoire nous échappe, car la dame ne semblait pas avoir besoin de réponse, mais semblait désirer l’autre de la rencontre, l’autre relationnel, l’autre assis à côté (c’est-à-dire décalé).
 

Qu’est-ce qui structure ce type des relations?

De ce qui vient d’être dit, l’on peut retenir que les humains sont fondamentalement des êtres de relations creusées par le désir de l’autre que par les besoins à combler. Ici il s’agit maintenant de dégager la structure qui favorise ce type des relations dans les soins. Nous l’avons compris, dans le travail d’ISS, ce n’est pas d’abord le contenu qui compte (ex. réponse à la demande), mais plutôt la structure qui porte ce contenu. Autrement dit, ce qui caractérise les relations dont témoignent les soins spirituels, ce n’est pas d’abord les actes posés (ex. méditation pleine conscience, rituel en fin de vie ou paroles réconfortantes), mais davantage la structure qui porte ces actes posés. C’est cette structure ou posture qui nous semble essentielle à la profession des ISS dans les soins.
 
Jusque-là l’accent mis sur la structure peut paraître abstrait. Il nous faut donc préciser. En fait, comme dit précédemment, « le malade » par son état de vulnérabilité est souvent dans une posture bidirectionnelle : malade vs traitement des professionnels. Mais, comme on le sait, la maladie affecte aussi la santé globale de l’humain alité. La relation malade-traitement semble ainsi insuffisante dans la prise en charge des usagers. C’est en niveau que vient s’inscrire la dimension de désir relationnel dont témoignent les ISS et qui permet d’intégrer les soins dans sa dimension holistique. Dans ce sens, le malade ne reçoit pas seulement des traitements (tangibles), mais par la présence des ISS, la personne malade, intègre dans ses soins la dimension relationnelle dont il faut aussi prendre soin. Cette dimension relationnelle ne s’offre pas au malade comme on lui offrirait une chirurgie ou un médicament. Il s’agit d’une dimension qui se déploie davantage dans le partage, dans une sorte d’écoute habitée. Dans cette dynamique d’écoute, ce qui compte ce n’est pas la technique ni les stratégies mémorisées (ex. reflet, reformulation, révélation de soi, question ouverte ou fermée). Ces techniques ou rituels proposés sont davantage portés par autre chose que nous nommons sous le vocable de : « posture relationnelle décalée ». Ici, le décalage s’impose comme dynamique distinctive de cette posture. Ce faisant, rencontrer l’autre par cette posture décalée, c’est définitivement abandonner les certitudes qui pensent apporter des réponses aux désirs des personnes malades, et finalement c’est consentir que ce n’est pas l’ISS et le malade qui décident de l’issu de la rencontre, mais que tout dépend de la manière dont ils se disposent face à ce qui se passe. Exactement, ce décalage témoigne de la présence d’un autre espace habité par une autre instance nécessaire à la dimension relationnelle dans les soins. Ainsi, l’ISS en allant à la rencontre de l’autre malade, favorise l’advenue de ce troisième espace. C’est par la disposition de ces trois espaces (espace de la personne du malade, de l’ISS et l’espace de l’autre – le vide ou le manque) que la relation semble possible. Ce type de relation ne s’offre pas dans un face-à-face (parfois confrontant, étouffant ou solitaire), mais plutôt dans une rencontre, témoin du manque, du vide, de la soif, mais aussi une rencontre témoignant de la circulation de la parole partagée à partir des lieux de vies marquées de blessures, de souffrances ou de déchirements intérieurs. Inlassablement, ce type de rencontre résiste aux relations binaires (souvent polarisantes et étouffantes) et favorise les relations ternaires (décalée) témoin du passage du souffle et de l’inouï. C’est dans ce mouvement, dans cette posture décentrée que nous osons inscrire les relations dont témoignent les Intervenants en soins spirituels.
 
Si les ISS s’identifient dans les relations comme ce qui caractérise profondément leur profession, il faut néanmoins préciser que le type des relations dont ils témoignent se construit davantage à partir d’une posture décalée que du contenu partagé avec doigté autour du besoin de l’usager. Dans ce sens, l’humanisation des soins honore non seulement la dimension holistique des traitements, mais devient le lieu d’une rencontre étonnante entre l’intervenant, l’usager et le manque. Ainsi disposée, la rencontre n’est simplement plus un rendez-vous des réponses aux besoins formulés par l’usager, mais plutôt un espace qui témoigne de l’inattendu, de l’inouï émanant du lieu de l’autre souffrant, mais aussi marqué par le désir.
 


 




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