Un retour aux sources

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Prendre soin des soignants à la manière des Augustines




Par Claudine Papin et Lucie Gélineau - 1er décembr e2015

Comment la riche expérience des Augustines peut-elle inspirer les soignants aujourd’hui? C’est entre autres sur cette question que, depuis avril 2014, un projet de recherche participative est en cours au Monastère des Augustines. Les auteures tracent pour nous le processus de ce projet ainsi que quelques pistes de réflexion.

 
La communauté des Augustines a su, au cours de ses 375 ans d’histoire, rendre service tout en s’adaptant au devenir de la société québécoise. Emportées par la modernité, les Augustines ont œuvré, ces dernières années, pour assurer la transmission de leur héritage. Leur vision et leur engagement a non seulement conduit à la restauration et la transformation de leur monastère fondateur de L’Hôtel-Dieu de Québec ainsi qu’au regroupement et à la mise en valeur des artéfacts et des archives de leurs douze monastères-hôpitaux, mais également à la transmission de leur patrimoine immatériel au bénéfice de la population.

En plus de porter la mémoire historique des religieuses hospitalières, le Monastère des Augustines perpétue une œuvre sociale. Outre l’accueil du grand public au musée ou pour un séjour en hébergement d’expérience, il accueille des proches aidants, des accompagnateurs de malades, mais aussi des soignants, pour du répit et du ressourcement. 
 
Même s’ils n’appartiennent pas à la communauté des Augustines, les soignants du milieu public et communautaire de la santé et des services sociaux apparaissent comme les héritiers naturels des Augustines. Mais comment l’expérience plus que trois fois centenaire de ces pionnières peut-elle inspirer les soignants d’aujourd’hui? Comment les pratiques de soin et d’hospitalité des Augustines peuvent-elles être reconnues, traduites et actualisées afin de prendre soin, non plus des malades, mais bien des soignants? C’est dans cette perspective, que depuis avril 2014, un projet de recherche participative soutenu financièrement par la Fiducie du patrimoine culturel des Augustines et la Fondation Béati, est en cours. Nous en exposerons sommairement le processus et quelques pistes de traduction dont nous poursuivrons l’expérimentation en 2015-2016.
 

Deux sources : les charismes des augustines et les besoins des soignants

En plus d’être immatériel, le legs à traduire et à transmettre est immense et multiple. Alors, comment s’y prendre? D’abord en saisir l’esprit : rencontrer et écouter les gardiens du legs – les Augustines et leur chargé de projet  –; fureter du côté du concept muséologique du Lieu de mémoire habité visant à traduire un contenu à la fois scientifique et spirituel. Parallèlement, réunir : les pratiques collectives des Augustines tracent la voie à prendre. Une dizaine de soignants se rassemblent : infirmiers actifs et retraités, travailleurs sociaux, professionnels de la santé et en soins spirituels, éducatrice, chercheure impliquée en santé et services sociaux et une augustine. Nous adoptons une démarche de recherche participative alliant rigueur et vigueur. Les soignants forment un Cercle de cochercheurs.
 
En 2014, les cochercheurs explorent avec beaucoup d’intégrité leurs besoins en tant que soignants : besoin de silence et de repos, de sacré, de mouvement, de donner et de ralentir. Besoin de dire, de décanter, d’échanger sur son expérience, d’écouter l’histoire de l’autre, de se sentir utile. Besoin d’amour et d’amitié, de gratitude, de reconnaissance. Soif de confiance et de compassion. Ces soignants cherchent des réponses avec l’intention d’en réinvestir les effets directement ou indirectement dans leur présence auprès des malades ou des gens en situation de vulnérabilité.
 
En parallèle, toujours à la recherche de l’esprit du legs, les commentaires judicieux des Augustines nous amènent à délaisser la piste des savoir-faire. C’est plutôt vers la traduction et l’actualisation des charismes1 des Augustines, soit le soin, l’hospitalité, la vie communautaire et la vie de prière, que nous nous tournons. Nous croyons que c’est dans cette direction que leur héritage trouvera du sens, leurs charismes ouvrant sur un monde de possibles pour répondre aux besoins des soignants. Reste à en explorer les voies d’actualisation, de traduction et de transmission.
 

Prendre soin… un acte de transmission de sens

Comment aider les soignants, souvent en situation d’impuissance et en quête de sens, à entretenir leur souffle? Quels pourraient être les contours d’un ressourcement non confessionnel proposé aux soignants au Monastère des Augustines? Ces questions servent de boussole au Cercle de cochercheurs lors de ses nombreuses rencontres d’avril 2014 à mai 2015. Réflexions, explorations, expérimentations s’entrecroisent. Petit à petit, notre démarche nous conduit à dégager un cadre de ressourcement offrant une réponse aux besoins des soignants tout en s’inspirant des charismes des Augustines : être invité, être attendu, être accueilli dans la simplicité et la beauté, sentir qu’on prend soin de nous, se retrouver dans un espace qui favorise l’intimité, en nous et entre nous. Chercher ensemble étant une pratique typiquement augustinienne, nous observons que, dans ce cadre, les soignants deviennent porteurs de questions de sens, partagent des expériences et des visions qui suscitent de l’écoute, du réconfort, de l’entraide, du pouvoir d’agir sur leurs propres conditions et sur celles des gens qu’ils côtoient. Entre écoute, parole et silence, entre tradition et actualisation, l’importance de prendre soin d’eux-mêmes et de leurs relations nous guide vers quelque chose d’universel.
 
La posture de service et de « prendre soin » de ces soignants est facilement repérable. C’est de là qu’ils s’engagent. Cette double chimie crée naturellement un sentiment d’appartenance et le désir de servir, tout en prenant soin d’eux afin de pouvoir redonner à l’autre, souffrant ou vulnérable. Il semble que les soignants soient plus enclins à prendre part, à rendre service qu’à prendre soin d’eux-mêmes. Ce qui en soi représente un défi pour qu’ils se sentent interpelés par une offre de ressourcement.
 

Décoder la « signature des augustines »

À l’automne 2014 s’ouvre une nouvelle phase dans le projet, celle d’une première expérimentation des formes que pourrait prendre le ressourcement.
 
Des pistes d’exploration dégagées par le Cercle de cochercheurs, il est notamment apparu que le fait de déposer simplement sa propre histoire dans une histoire plus vaste — celle des Augustines — apportait un soulagement, voire une transformation des souffrances accumulées. L’idée de la mise sur pied d’un Cercle d’hospitalité prend forme.
 
Une douzaine de soignants répondent à l’invitation de venir créer, en le vivant, ce premier Cercle d’hospitalité. Influencés par le paradigme constructiviste2, nous poursuivons, tout en expérimentant, la coconstruction du savoir recherché entrepris avec le Cercle des cochercheurs. Dans ce nouveau Cercle d’hospitalité, nous privilégions la relation entre les participants et cherchons à repérer systématiquement le sens qu’ils dégagent de cette expérience collective. 
 
Au fil de quatre rencontres, dans un cadre légèrement ritualisé à partir d’objets symboliques propres aux Augustines, chacun partage son histoire à partir dun déclencheur : raconter un geste de soin particulièrement significatif, nommer lorigine de son désir de prendre soin, partager ce qui « allume » et ce qui permet dentretenir la flamme. Au final, les soignants se prêtent au décodage de leur expérience en identifiant où ils ont perçu ou ressenti la manifestation des quatre charismes des Augustines. Voici un sommaire de ce qui fut mis au jour:

Les manifestations de l’hospitalité

  • Éprouver la joie d’une invitation personnelle à contribuer 
  • Recevoir une correspondance sympathique qui dépasse l’information logistique
  • Se sentir reconnu et attendu
  • Ressentir que, petit à petit, la mutualité s’installe entre les participants
  • À la fin de l’activité, valoir la peine d’être raccompagné jusqu’à l’entrée, sentir que la relation est bouclée


Les manifestations du soin

  • Prendre soin du besoin de transition entre les activités de la journée et celles du cercle
  • Pouvoir prendre la parole dans un climat sécuritaire qui favorise l’intimité
  • Compter sur des conditions qui encouragent une écoute sincère
  • Vivre l’expérience dans un contenant de temps concentré et respecté
  • Ressentir, dès l’arrivée, le soin pris dans la mise en place de l’espace de rencontre
  • Consentir à se laisser servir, à recevoir de l’attention (ce qui ne semble pas évident pour les soignants!)

 
Les manifestations de la vie communautaire

  • Contribuer à une expérience humaine claire et circonscrite
  • Pouvoir déposer son histoire personnelle dans une histoire plus vaste, celle des Augustines
  • Prendre part à une activité collective, sans hiérarchie entre les participants, sans survalorisation des rôles ou des expériences
  • Se sentir partie prenante d’une activité dirigée, mais modulée en fonction de l’adhésion de chacun
  • Échanger à partir de son expérience et découvrir des liens avec celles des autres
  • Mettre en commun les expériences à partir d’histoires, de gestes ou d’actes vécus plutôt que d’idées ou d’opinions
  • Avoir le sentiment d’être collectivement créatif 

Les manifestations de la vie de prière

  • Prendre part à une expérience collective qui laisse des temps d’intériorité et de silence
  • Être guidé dans un cadre légèrement ritualisé.
  • Proposer des pratiques de présence ou de recueillement où coexistent différentes options couvrant la spiritualité chrétienne ou humaniste

 
Outre le Cercle d’hospitalité, d’autres pistes de ressourcement issues des préoccupations des soignants sont en développement. Les cochercheurs ont notamment manifesté l’importance de prendre soin des jeunes soignants. Un entretien réunissant des soignants expérimentés ou retraités et de jeunes soignants a permis de confirmer leur ouverture à prendre soin les uns des autres. Nous inventerons en 2015-2016 un Cercle de soin intergénérationnel, un espace où les uns et les autres partageront leurs parcours, seront entendus avec bienveillance et pourront s’en trouver grandis. 
 
Nous avons aussi jaugé la pertinence d’aborder, en cercle, la souffrance des soignants. Cela est apparu comme un incontournable. La voie de l’entraide semble propice pour aborder cette situation tout en faisant écho aux pratiques communautaires des Augustines.
 
Le silence étant une composante spirituelle universelle et présente depuis 375 ans au Monastère des Augustines, nous expérimenterons un espace où des soignants se retrouveront ensemble pour un temps de silence habité et dédié à une situation ou une cause qui demande du soin. 

Nous explorerons aussi une forme de ressourcement passant à la fois par une démarche solitaire jumelée à des retours en groupe sur l’expérience singulière de chacun. Ancrés dans des moments marquants, entre action et contemplation, de la journée d’une augustine, nous chercherons à élaborer des séjours « Retour aux sources » s’adressant aux soignants.
 

En tant que soignants, prendre soin d’eux entre eux 

La démarche du Cercle des cochercheurs et du Cercle d’hospitalité a permis de dégager des formes de ressourcement susceptibles de rejoindre les soignants :

  • se retrouver entre soignants de différents horizons, en dehors des cadres institutionnels, dans un climat convivial d’échange afin d’aborder autant leurs aspirations que leurs souffrances
  • que cette offre soit sans objectif caché, sans intention d’enseignement, de conversion ou de récupération institutionnelle
  • qu’elle ménage un espace original où chaque soignant nest ni client, ni spectateur, mais où il devient un hôte pour lui-même et pour les autres.

 
Nos premières explorations nous ont démontré que des rencontres privilégiant les liens entre les soignants ont un impact sur l’ouverture et la profondeur de l’expérience qu’ils consentent à partager. Dans la balance, l’esprit des lieux, le contenant et le climat ainsi que les conditions de l’expérience apparaissent aussi importants que le contenu. Et ce dernier gagne à émerger de l’expérience même des soignants. La « Signature des Augustines » semble se démarquer ainsi d’approches plus conventionnelles où le contenu repose principalement sur l’expertise d’une ressource extérieure.
 

Une aventure en soi

Voilà qui expose sommairement une des voies de l’aventure de sens proposée au Monastère des Augustines. La finalité demeure de rendre accessible aux soignants, l’héritage des Augustines et de dégager ce qui deviendrait une « Signature des Augustines » afin de prendre soin individuellement et collectivement de l’engagement à soigner. Vous y êtes les bienvenus.
 

Références

1   Le charisme d’un institut se compose de trois éléments – une spiritualité, des axes de mission, un projet de vie communautaire – mais il se définit par la mission d’ensemble reliée à une vision particulière. (Charron, A., 2009). La reconnaissance du charisme d’une communauté religieuse : le cas de la Congrégation de Sainte-Croix.

2   « La perspective appelée «constructivisme» est bien établie en sociologie. Elle provient d’œuvres classiques telles que celles de Schutz (1967), Berger et Luckmann (1967) et Mannheim (1936), parmi tant d’autres, qui développèrent l’idée que les objets sociaux ne sont pas donnés «dans le monde», mais construits, négociés, reformés, adaptés et organisés par les êtres humains dans leur effort pour faire sens de ce qui se produit dans le monde  » SARBIN Theodore R. et KITSUSE John I. (Eds), Constructing the Social. London 1994, p. 3. 
 


 

Claudine Papin est directrice du développement social et solidaire de la Fiducie du patrimoine culturel des Augustines. 

Lucie Gélineau est anthropologue et professeure régulière au département de psychosociologie et de travail social de Université du Québec à Rimouski.

 

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