
Par Nisrine Moubarak, membre du comité de rédaction – 1er avril 2025
Depuis les premiers temps, les rituels ont marqué les grandes transitions de la vie, en particulier celles qui entourent la mort. Ils offrent un cadre structurant, un espace où l’incompréhensible prend forme, où la perte se transforme en mémoire et où le passage est accompagné avec dignité. Qu’ils soient religieux, laïcs, collectifs ou intimes, ces gestes symboliques portent une signification profonde : celle d’unir les vivants autour de celui qui s’en va, de poser un dernier regard, un dernier mot, une dernière présence. Ces pratiques, ancrées dans l’histoire des civilisations, permettent de transcender le simple fait biologique de la mort pour en faire un moment d’humanité partagée, où l’individu est reconnu dans sa singularité tout en s’inscrivant dans une continuité collective.
Mais aujourd’hui, nos repères changent. La sécularisation, l’individualisation des parcours de vie et l’évolution des soins de fin de vie modifient la façon dont nous abordons la mort. Le développement de l’aide médicale à mourir, l’éclatement des structures familiales et la diversité des croyances façonnent de nouvelles manières d’accompagner la fin de vie. Si certaines traditions se perdent, d’autres émergent, plus adaptées aux réalités contemporaines. Dans ce contexte mouvant, une question s’impose : comment continuer à donner du sens à la mort ?
Ce numéro de la revue explore ces interrogations à travers différentes perspectives. Il s’intéresse aux nouvelles pratiques rituelles qui prennent forme dans les milieux de soins, aux enjeux de l’accompagnement spirituel face à des parcours de fin de vie de plus en plus diversifiés, et aux façons dont les gestes et symboles du passé se réinventent pour répondre aux besoins d’aujourd’hui. Les articles rassemblés ici proposent un regard nuancé et approfondi sur la transformation des rituels, qu’ils soient portés par les institutions, les proches ou les professionnels de la santé. Certains textes examinent comment la ritualisation s’adapte dans un contexte d’aide médicale à mourir, où la temporalité du départ est désormais maîtrisée. D’autres interrogent le rôle des rites en période de pandémie, où l’absence de contact et les restrictions sanitaires ont modifié en profondeur nos manières de faire nos adieux.
Au fil des pages, les auteurs nous invitent à repenser le rôle des rituels et à mieux comprendre leur importance dans un monde où la mort, trop souvent reléguée à l’ombre, demande à être reconnue, vécue et honorée. Car si les rituels évoluent, leur essence demeure : ils sont une réponse universelle à la fragilité de l’existence, une manière de faire face à l’inévitable et de tisser des liens entre les générations, entre les cultures, entre le visible et l’invisible. Ce numéro nous appelle à réfléchir à cette présence du rituel dans nos vies, à sa puissance de réconfort et à son rôle fondamental dans l’accompagnement de la fin de vie. Il nous remémore que, même dans un monde en pleine transformation, le besoin de marquer les passages, de dire au revoir et de transmettre demeure une nécessité profondément humaine, un besoin qui transcende les croyances et les traditions, et qui témoigne avant tout de notre appartenance à une humanité commune.