Par Albert Komlan Gblokpor-Koffi — 1er août 2024
À travers des récits comme celui d’un patient confronté à un diagnostic terminal, cette chronique explore comment l’accompagnement spirituel enrichit la prise en charge médicale, apportant réconfort et sens tant aux patients qu’au personnel soignant, même dans les moments de profonde détresse et d’urgence.
Je suis intervenant en soins spirituels (ISS) à l’hôpital de l’Enfant-Jésus du CHU de Québec — Université Laval, depuis environ 6 ans. Durant ce laps de temps, l’un des aspects importants que je considère comme essentiel à la profession d’ISS, est la qualité de notre présence dans l’accompagnement des patients en quête de sens. Elle nous place dans une posture de témoin, capable d’écouter et d’accueillir une parole ébranlée qui se déploie dans la vie intérieure. Autant que faire se peut, nous essayons d’offrir cette même présence aux personnes soignantes que nous rencontrons sur les unités de soins, dans les réunions d’équipe multidisciplinaire ou dans les couloirs de l’hôpital. Ces derniers, au-delà de leur implication thérapeutique au chevet des patients, vivent une certaine détresse psychologique ou spirituelle « invisible et insoupçonnée », souvent causée par des situations difficiles et inattendues dans l’exercice de leur travail.
Un exemple parmi tant d’autres
Je me souviens d’un patient qui était dans la quarantaine et que j’ai accompagné jusqu’à son dernier soupir. Il souffrait d’un cancer sévère dont le diagnostic était, sans équivoque, très sombre. Monsieur tout comme sa conjointe étaient dévastés par l’annonce de sa métastase avancée. Au vu de leur situation, l’équipe de soins me demande de faire un bout de chemin avec eux. Après quelques rencontres où une alliance s’est nettement créée, il m’ouvre la porte de son âme. Il me raconte sa déception face à la maladie qui anéantit ses rêves. Ne pas voir ses enfants grandir est pour lui difficile à accepter. Il évoque et énumère avec amertume une litanie de projets en suspens. Dans ce contexte et devant l’ampleur et le choc qu’il ressent, ma présence, jadis spirituelle, au-delà des reflets et relances, se résume à laisser parler mon silence, résister à la tentation de lui offrir une « pilule spirituelle magique », afin de remplir plutôt nos rencontres d’une atmosphère de confiance et d’accueil inconditionnel de sa fragilité. Le but est de lui donner assez d’espace, de lui permettre d’exprimer son impuissance, sa colère, ses interrogations, sa frustration, ses peurs et son découragement.
Au cours d’une rencontre en présence de sa conjointe, il exprime son besoin ultime de marier cette dernière afin de réaliser son rêve d’adolescent. L’information partagée est accueillie par le personnel de soin comme une panacée, un palliatif pouvant aider le couple dans sa quête de sens. Mais l’imminence de la mort de monsieur et les démarches prenantes pour la préparation du mariage devenaient une source d’anxiété pour le personnel. Tous se mettent en branle. Ils se montrent disponibles et utiles dans le but de faire avancer les choses. Le désir de contribuer à l’accomplissement de ce besoin du couple était devenu une des priorités sur l’unité. Ma contribution pour un soutien spirituel de l’équipe fut sollicitée par la responsable de l’unité. Je me rends disponible, proche et soutenant dans cette ambiance frénétique, empreinte d’émotions.
Le résultat est palpable. Le mariage est finalement célébré. Le personnel médical est présent de même que les enfants et les parents de monsieur et de sa femme. Le vœu du couple s’est réalisé. Le regard lumineux de monsieur rend compte de sa joie intérieure et de sa satisfaction. Il décède quelques jours plus tard, après avoir eu le temps de passer quelques moments de lune de miel avec son épouse dans sa chambre d’hôpital.
Cette expérience clinique et bien d’autres comme l’accompagnement offert à l’équipe de soins et aux familles des victimes lors de la fusillade de la mosquée de Québec et lors de la pandémie de Covid-19, etc. confortent mes convictions sur la pertinence de cette profession dans les plans de soins. La reconnaissance exprimée par les bénéficiaires de nos services en soins spirituels surtout en temps de crise, de maladie ou de mort imminente permet de conclure que la qualité de la présence des ISS ouvre les portes des jardins intérieurs aussi bien chez les patients que chez le personnel de soins. Le fruit habituel de cette posture est qu’elle permet de s’ouvrir, d’avancer, de voir ou de trouver d’autres horizons inavoués qui font grandir.
Albert Komlan Gblokpor-Koffi, est intervenant en soins spirituels à l’hôpital de l’Enfant-Jésus du CHU de Québec — Université Laval depuis septembre 2017. Il détient un doctorat en sciences de l’éducation et un diplôme d’études supérieures spécialisées en études pastorales-accompagnement spirituel de l’Université Laval. Il possède également un baccalauréat théologique de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO).