La souffrance des intervenant(e)s en soins spirituels (ISS)

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Par Stéphane Lelièvre, intervenant en soins spirituels
CHU de Québec – ULaval – 1er avril 2023
 
Depuis une trentaine d’années, je travaille dans le champ de l’accompagnement spirituel. Au cours de ce cheminement, j’ai souvent parlé ouvertement des aspects difficiles de ce métier. Quand est venue l’idée du thème de ce numéro de la revue Spiritualitésanté, on m’a rapidement lancé, avec un petit rire taquin : « Hey, Stéphane tu pourrais écrire une chronique sur la souffrance des ISS! ».
 
J’accepte avec humour et amour, car j’ai toujours aimé – et encore aujourd’hui – la pratique de l’accompagnement spirituel. Et j’aime bien mes collègues. Je vous partage donc le versant décapant (il y a évidemment d’autres versants !) de mon chemin.
 
La souffrance est une expérience éminemment subjective. Je ne peux pas prétendre parler de la souffrance d’autrui. Alors j’écris non pas sur la souffrance des ISS, mais sur ma souffrance personnelle que j’ai éprouvée au fil des années, au contact quotidien de la réalité en tant qu’ISS. Il s’agit donc simplement de mon regard. Peut-être que certains se reconnaîtront dans un aspect ou un autre.
 
Le propos déployé brièvement dans ce modeste espace se résume à ceci: devenir ISS au Québec est un chemin de deuils éprouvants qui donne au long cours une fécondité aux couleurs d’humilité.
 

Évocation de quelques expériences vécues
Souffrir...

C’est parfois se retrouver face à une journée sans requêtes, sans suivis en cours, face à la nécessité d’aller offrir son accompagnement à des patients qui n’ont rien demandé. C’est beau théologiquement... mais tellement à contre-culture.
 
C’est revenir au bureau après trois semaines de vacances d’été avec une boîte vocale vide.
 
C’est devoir interrompre une rencontre et sortir de la chambre parce qu’un autre professionnel est prévu dans le plan de soins cette journée-là et doit faire son évaluation maintenant et que, de toute façon, ma rencontre avec le patient provenait simplement d’une suggestion spontanée de l’infirmière (« tel patient est un peu découragé, vous pourriez aller jaser avec lui... »).
 
C’est se faire poser la question par l’assistante-infirmière chef (AIC), en pleine équipe multidisciplinaire: « Pourquoi allez-vous voir tel patient ? Que faites-vous avec lui ? » Et en encaissant la blessure de sentir le vague doute dans la voix de l’interlocuteur, chercher maladroitement comment justifier mon rôle et ma visée.
 

Quels deuils?

À partir de ces situations évoquées – et j’en ai vécu plusieurs autres, sans compter les nombreux récits similaires confiés par des collègues au fil du temps– j’affirme que devenir ISS, c’est faire le deuil, entre autres:

  • De sentir qu’on a besoin régulièrement de moi (ce qui est fondamental pour se sentir reconnu).
  • De se sentir important dans un milieu.
  • ​D’être pertinent dans un plan de soins (le plan de soins n’a pas besoin de l’accompagnement spirituel pour arriver à son but).

 
Et que dire de l’expérience décapante de me sentir marginal parce que je ne vise pas un résultat au nom d’un savoir. Et tout autant marginal parce que je n’ai pas le même centre de gravité anthropologique que tous les autres professionnels du réseau. Par exemple, un ISS, en réalité, ne répond pas à des besoins... il se rend présent à un désir profond, qui vient d’ailleurs que le « moi » et qui appelle simplement à être entendu... pour mieux s’incarner.
 
Le fond de ma souffrance comme ISS n’a pas été le manque de reconnaissance. Ça a été de ne pas me sentir exister professionnellement. La nuance est importante: c’est au-delà de la tape dans le dos qui te dit que ce que tu fais est réellement valable... c’est cette impression de ne pas être vu en tant que professionnel parmi d’autres professionnels.
 
Et c’est là que se produit le lever du jour. Quand j’ai suffisamment traversé ces deuils (parfois c’est un peu à refaire), une fécondité insoupçonnée, discrète et libératrice se met à souffler. Car lorsque je renonce à être « quelqu’un », je marche humblement avec le patient qui a aussi beaucoup perdu. Ensemble, nous commençons à entendre le murmure d’un désir profond, créateur ou d’une source intarissable qui donne la vie, quoi qu’il arrive.
 
Être ISS au Québec ce n’est pas important, c’est essentiel. Et on le devient en consentant à une souffrance inévitable dans la réalité.
 



Le Centre Spiritualitésanté de la Capitale-Nationale (CSsanté) assure le fonctionnement au quotidien des services de soins spirituels répartis dans plus de 30 sites du réseau de la santé et des services sociaux de la ville de Québec et de ses environs. Il est constitué d’une quarantaine d’intervenants et d’intervenantes en soins spirituels.

Le CHU de Québec-Université Laval est l’établissement fiduciaire. À ce titre, il a la responsabilité d'administrer les ressources humaines et financières du CSsanté.


Commentaires



 

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5 juin 2023

Entièrement d'accord avec M. Lelièvre. Je ressens ces sentiments à peu près tous les jours de travail. Sauf que moi, j'ai décidé d'en rire plutôt que d'en pleurer...et d'encaisser mon chèque. Par contre, je m'inquiète de l'avenir de la profession: à la fois essentielle et superflue, on risque d'être coupé un jour.

Par Sophie
2 juin 2023

Bien que soient audacieuses les confidences de M. Lelièvre au sujet de sa souffrance, en tant qu'ISS, ne ne partage pas ce vécu et sa vision d'une problématique qui lui est personnelle. Présente quotidiennement sur les unités de soins, participant aux rencontres interdiciplinaires, travaillant en équipe avec tous, médecins, soignants et intervenants n'hésitent pas à m'adresser des requêtes professionnelles auxquelles je m'empresse de répondre et de rendre compte. Ma présence à l'autre est porteuse de joie profonde et de liberté intérieure qui ne cesse de croître. La souffrance vécue est plutôt celle des personnes hospitalisées ou hébergées que je tente de soulager!

Par Martine
25 avril 2023

Merci Stéphane pour ce texte audacieux, qui nomme bien certains malaises que nous pouvons éprouver comme ISS (mais dont nous n'osons rarement parler). Il y a bien des angles à ce que tu soulèves, mais j'aime particulièrement quant tu écris: «je n’ai pas le même centre de gravité anthropologique que tous les autres professionnels du réseau». Cela nous place toujours dans une posture un peu marginale et aussi difficile à tenir qu'à expliquer. C'est là, selon moi, la principale racine de cette «souffrance» qui est le défi continuel «d'être» un professionnel du réseau «sans en être» totalement un. Notre «objet» d'intervention (la spiritualité) n'étant justement pas un «objet»... Bref, ton texte aurait de quoi alimenter une discussion dans une communauté de pratique d'ISS. Merci.

Par Marco Veilleux
18 avril 2023

Suite à la lecture de la chronique de l'iss, je suis étonnée et je me pause bien des questions sur le travail de monsieur Lelièvre. D'abord, je suis soulagée de constater que la souffrance est vécue par un seul intervenant et non pas par l'ensemble des iss au Québec comme le mentionne le titre de l'article. Ouf! Ensuite, pour connaître déjà la profession moi même, je suis surprise qu'un iss attende les requêtes et n'ai aucun suivi à faire jour après jour. Après 30 ans, il est dur de constater qu'un d'iss a de la difficulté et de l'inconfort à présenter son travail ou son rôle dans une équipe multi. Quand on se montre présent au fil des semaines aux postes infirmiers, aux équipes multi, auprès des patients sur les étages ou dans les espaces communs, cela démontre notre intérêt à apporter notre contribution pour le bien être d'une personne hospitalisée. Plus on est présent (visible), plus ont reçoit des demandes d'accompagnement et de soutien. Merci de votre attention

Par Nathalie

Dernière révision du contenu : le 11 avril 2023

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