Vers la médecine de demain : la protéomique et l’intelligence artificielle, au service du patient

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Arnaud Droit, professeur à l’Université Laval et directeur de la plateforme de bioinformatique et de protéomique du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval (CRCHU), aide la médecine à faire des bons de géants notamment grâce à l’intelligence artificielle.

Spécialiste de génomique, de protéomique1 et de bioinformatique, Arnaud Droit se concentre sur un programme de recherche innovant visant à créer des méthodes d’analyse des données biomédicales. Car si les données sont légion, notamment en santé, encore faut-il savoir les faire parler! 

À travers de nombreux projets de recherche, le Pr Droit et son équipe du laboratoire de bioinformatique y parviennent grâce aux approches d’intelligence artificielle, comme l’apprentissage automatique (Machine Learning)2 et l’apprentissage profond (Deep Learning)3, qu’ils appliquent à la biologie.

C’est ainsi qu’en collaboration avec des médecins de diverses spécialités, Arnaud Droit révolutionne discrètement toutes sortes d’aspects de la pratique médicale.
 

Réduire les temps d’analyse et améliorer leur précision

D’ici quelques années, l’essor des technologies omiques4 associées à l’intelligence artificielle permettra le développement d’une médecine de précision pour une meilleure prise en charge des patients. Ainsi, ces derniers bénéficieront de traitements personnalisés plus efficaces, et ce, plus rapidement.

Par exemple, dans le projet « MICROB-AI », Arnaud Droit et son équipe travaillent sur l’identification des bactéries responsables d’infections dans les fluides biologiques, en l’occurrence lors d’infections urinaires, en un temps plus court que le délai actuel, qui varie entre 24 et 100 heures selon la technologie utilisée. « Étant donné que le délai de confirmation de l’infection est long, les médecins prescrivent des antibiotiques à large spectre aux patients, ce qui contribue à aggraver le problème de l’antibiorésistance. Nous avons donc développé une technologie basée sur la spectrométrie de masse et l’intelligence artificielle qui permet de savoir quelles bactéries sont présentes dans l’urine en seulement 2 à 4 heures. Notre méthode élimine l’étape de la culture bactérienne, ce qui donne un temps de réponse très court et permettrait éventuellement au médecin d’attendre le résultat avant de prescrire un antibiotique à large spectre », explique Arnaud Droit. 

MICROB-AI, financé par Génome Québec et mené en collaboration avec les compagnies Thermo Fisher Scientific et Evosep, se poursuit avec le volet « MICROB-AI R+ » portant sur les résistances bactériennes, en collaboration avec la Dre Sandra Isabel, infectiologue et chercheuse clinicienne. « En cas d’infection, le médecin doit savoir quelle bactérie est responsable et si celle-ci est résistante afin de prescrire le bon antibiotique. Pour répondre à ce besoin, nous cultivons des souches de bactéries résistantes et nous les inoculons dans des urines. Ensuite, nous intégrons dans notre modèle d’intelligence artificielle MICROB-AI les profilages protéomiques obtenus par spectrométrie de masse à partir de ces échantillons. Nous obtenons ainsi une carte peptidique des bactéries résistantes. À terme, la méthode MICROB-AI R+ permettra de savoir, en moins de quatre heures, quelle bactérie est présente dans l’urine infectée et si elle est résistante. » 
 

Améliorer la prise en charge et le suivi des patients

Le laboratoire du Pr Droit accueille aussi deux chaires de recherche, dont la Chaire internationale Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) en intelligence artificielle liée à la santé. Les travaux de cette dernière se concentrent sur la recherche de biomarqueurs en lien avec la sténose aortique, une maladie affectant le fonctionnement des valves cardiaques. L’objectif du projet est de développer, à partir de diverses données médicales et d’images d’échographies cardiaques, une approche d’intelligence artificielle pour mieux prédire l’évolution de la sténose et déterminer plus précisément quand il sera nécessaire de remplacer les valves aortiques. 

Plusieurs autres projets sont en cours avec des médecins et chercheurs du CHU, dont ceux sur le cancer du sein avec le Pr Jacques Simard ou encore celui avec le Dr Raoul Santiago, hémato-oncologue et chercheur clinicien, dont l’objectif est d’améliorer le traitement des cancers pédiatriques par l’utilisation de la protéomique sur cellules uniques (Single Cell Proteomics), laquelle aide à mieux comprendre les processus biologiques en permettant de distinguer les cellules immunitaires des cellules tumorales.

Avec le Dr Emmanuel Bujold, obstétricien et chercheur clinicien, un autre projet du Pr Droit vise à identifier les biomarqueurs des grands syndromes obstétricaux (pré-éclampsie, prématurité, diabète gestationnel, retard de croissance intra-utérin, mort périnatale). « Pour ce projet, nous visons à combiner des données de patientes au profilage protéomique de milliers d’échantillons d’urine et de plasma provenant de la banque Prévention du Dr Bujold. Grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle, l’ensemble de ces informations pourront être traitées pour élaborarer de nouveaux modèles de prédiction et/ou de diagnostique des grands syndromes obstétricaux. » Ces modèles permettront à terme de développer un outil d’aide à la décision qui aidera le médecin à assurer un meilleur suivi de grossesse, notamment auprès des femmes qui vivent dans les régions éloignées et qui n’ont pas accès facilement à des soins médicaux spécialisés en cas d’urgence. 
 

Percer les secrets de la peau

Depuis 2016, la Chaire de recherche et d’innovation L’Oréal en biologie numérique fait aussi partie du laboratoire d’Arnaud Droit. Elle s’intéresse principalement aux gènes et aux protéines impliquées dans la reconstruction épidermique. Pour en comprendre les fonctions métaboliques et cellulaires, des molécules sont prélevées sur des cultures de peau à différents stades de reconstruction, puis elles sont analysées par la transcriptomique5, la protéomique et la métabolomique6. À partir des résultats, des outils bioinformatiques développés à l’aide d’approches d’intelligence artificielle et de méthodes statistiques aideront à percer le secret de l’épiderme.

Récemment, Arnaud Droit a aussi annoncé une récente association avec Verily, une filiale d’Alphabet (maison mère de Google) vouée à la recherche en santé. Toujours avec des outils d’intelligence artificielle et des données omiques, les recherches portent sur l’identification des gènes et des protéines liées à la santé et au vieillissement de la peau. 
 

Le ChatGPT de la biologie

En dehors de tous ces projets de recherche, le Pr Droit et son équipe explorent les possibilités des « grands modèles linguistiques » (Large Language Models ou LLM), à la base d’outils comme ChatGPT (Open AI) ou Gemini (Google). 

« Nous commençons à travailler sur ces approches avec l’idée de créer un robot conversationnel spécialisé en biologie qui générerait des réponses fiables », précise Arnaud Droit.

Une idée qui devrait intéresser bien des scientifiques et qui promet d’autres belles avancées!

 


Notes

  1. Protéomique : « […] discipline […] qui regroupe les activités de recherche destinées à rassembler l’information complète sur l’expression des protéines des organismes dont le génome a été identifié. » Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/17010981/proteomique (page consultée le 29 février 2024).

  2. Apprentissage automatique (Machine Learning) : « Mode d’apprentissage par lequel un agent évalue et améliore ses performances et son efficacité sans que son programme soit modifié, en acquérant de nouvelles connaissances et aptitudes à partir de données et/ou en réorganisant celles qu’il possède déjà. » Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8395061/apprentissage-automatique (page consultée le 29 février 2024).

  3. Apprentissage profond (Deep Learning) : « Mode d’apprentissage automatique généralement effectué par un réseau de neurones artificiels composé de plusieurs couches de neurones hiérarchisées selon le degré de complexité des concepts, et qui, en interagissant entre elles, permettent à un agent d’apprendre progressivement et efficacement à partir de mégadonnées. » Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26532876/apprentissage-profond (page consultée le 29 février 2024).

  4. Omique : « Les branches de la science connues sous le nom d'omiques (ou -omiques) sont constituées de diverses disciplines de la biologie dont les noms se terminent par le suffixe « -omique », comme la génomique, la protéomique, la métabolomique, la métagénomique et la transcriptomique. » Source : Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Omique (page consultée le 12 mars 2024).

  5. Transcriptomique : « Étude de l’ensemble des molécules d’ARN messager qu’un organisme peut exprimer. » Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26502714/transcriptomique (page consultée le 29 février 2024).

  6. Métabolomique : « Discipline scientifique qui étudie et répertorie l’ensemble des métabolites présents dans une cellule. » Source : La vitrine linguistique, https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26507279/metabolomique (page consultée le 29 février 2024).


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Dernière révision du contenu : le 25 mars 2024

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