Dans le cadre de la commémoration nationale en mémoire des victimes de la COVID-19, quelques intervenants du CHU ont généreusement accepté de nous raconter des deuils vécus dans l’exercice de leurs fonctions en raison de la pandémie. Au nom de tous les Québécoises et Québécois, merci pour votre dévouement et pour votre contribution essentielle!
Alexandra Joyal, assistante infirmière chef en soins palliatifs, L’Hôtel-Dieu de Québec
La COVID a profondément transformé notre façon de soigner nos patients. Du fait que plusieurs de nos infirmières formées et expertes en soins palliatifs ont été « délestées » vers les unités chaudes de COVID-19, notre approche a dû être adaptée. Diminution de l’expertise et diminution du nombre d’infirmières pour donner des soins, pour s’assurer que nos patients en fin de vie sont confortables et ne souffrent pas. Nous avons vécu un deuil de notre idéal de fin de vie dans la dignité.
La COVID a également changé notre façon d’accompagner les familles qui veillent un proche mourant. Nous avons dû accepter l’impossibilité des contacts physiques, comme tenir la main ou faire un câlin aux proches endeuillés, tant de petits détails qui faisaient partie intégrante de notre accompagnement. Nous nous sentons un peu impuissants face à leur douleur, face aux familles qui ne peuvent pas se rassembler pour s’épauler dans cette épreuve, dû aux consignes sanitaires. Et le personnel doit faire respecter ces consignes, quitte parfois à perdre le lien thérapeutique avec le patient ou sa famille.
Nous ne sommes pas une unité « chaude ». Nos patients ne sont pas décédés de la COVID. Mais ils sont décédés dans des conditions et avec des contraintes importantes dictées par cette crise sanitaire, sans leur famille autour d’eux, avec souvent un nombre insuffisant d’infirmières pour prendre soin d’eux et de leurs proches.
Mario Fraser, intervenants en soins spirituels, Hôpital de l’Enfant-Jésus
Voici deux expériences illustrant le caractère implacable de la crise et les dépassements humains qui en émergent.
Une famille unie jusqu’au bout
J’ai été invité à accompagner une dame atteinte par le virus et dont la condition déclinait. Plus tôt, son conjoint, touché lui aussi, était venu la rejoindre. Le personnel avait eu la délicatesse de les installer dans la même chambre du Centre de convalescence.
La dame était profondément endormie à mon arrivée avec l’éducatrice spécialisée coordonnant la rencontre et responsable de la connexion vidéo avec des proches. Nous avons donc échangé avec le conjoint. Ce dernier était conscient de l’issue qui se dessinait et il insistait sur le fait que son épouse était déjà « presque partie ».
Lorsque la famille nous aurait rejoint par les médias sociaux, nous avions prévu vivre autour de cette dame un rituel nommé « Bénédiction en fin de vie ». Presqu’au moment de débuter, la dame s’est éveillée, elle s’est étirée et elle nous a souri. Elle semblait nous dire : « Je suis prête à commencer! »
Son conjoint a été installé afin de pouvoir lui tenir la main, sa famille lui a dit des choses tendres, ses filles présentes ont caressé ses cheveux… Et elle a prié avec ses proches. Je suis parti discrètement, émerveillé que cette femme, ses enfants et ses petits-enfants aient pu vivre un tel moment. Impressionné aussi par le travail des professionnelles qui ont favorisé la proximité du conjoint et la communication avec les proches qui ne pouvaient être sur place.
La dame est décédée en fin de journée. Quelques jours plus tard, son conjoint a quitté, entouré lui aussi, des siens et d’une collègue des soins spirituels. Il est allé rejoindre celle qu’il a aimé pendant plus de 60 ans.
Devant l’inconnu
En soins spirituels, les échanges avec la personne ou sa famille sont précieux, car ils précisent ses relations, ses expériences, ses croyances... À l’occasion toutefois, nous arrivons auprès de la personne quand elle achève son parcours de vie et qu’elle est incapable d’en parler.
Par une fin d’après-midi, je me suis rendu aux soins intensifs. L’équipe soignante s’apprêtait à procéder à un changement de niveau de soins pour un homme qui allait perdre son combat contre le virus après des semaines d’efforts. Malgré la proximité du personnel, cet homme était seul et son histoire de vie restait un mystère. L’équipe me proposait d’ouvrir une porte à l’espérance et à la paix alors que l’espoir n’était plus permis.
Ayant revêtu l’équipement de protection, je entré dans la chambre où le son des équipements reflétait l’ampleur des efforts des soignants. L’homme était dans la pénombre, inconscient. Après une présence silencieuse, j’ai osé des paroles d’apaisement. Des mots semés dans l’horizon de cette personne comme des petites lueurs pouvant éclairer les pas qu’il lui restait à franchir avant son départ.
« Bonjour. On m’a demandé d’être à vos côtés à ce moment important de votre vie. Je suis ici pour vous dire que vous n’êtes pas seul. Je suis ici en pensant à votre famille et à vos amis qui savent probablement quelle épreuve vous traversez et qui sont inquiets. Je suis ici en solidarité avec les personnes qui donnent des soins en cette période exigeante. Je ne connais pas vos croyances ou votre foi, mais ma présence veut aussi vous redire qu’il y a des gens qui vous portent dans la prière, une communauté qui est solidaire des gens confrontés à la maladie. Je ne connais pas votre Dieu, mais je suis certain qu’il est là lui aussi, qu’il peut vous soutenir et vous donner la paix si vous avez des inquiétudes, des regrets... »
Je suis resté sur place encore un peu et je suis parti, ayant fait le deuil de l’intervention parfaite où j’aurais pu mettre en lumière la vie de cette personne et être certain de la rejoindre dans sa spiritualité. Cet homme est décédé dans les minutes suivantes. Sans doute peu de temps après que le son des appareils ait commencé à faire place au silence.
Ann Longchamps, assistante infirmière chef, Hôpital de l’Enfant-Jésus
Fin de l’été 2020, un patient en rechute prépare ses derniers moments. Nous avions questionné son frère et sa belle-sœur; leur questionnaire étant négatif, ils pouvaient se relayer auprès de lui. J’ai ensuite reçu une demande de visite pour la mère de notre patient. Cette dernière avait eu la COVID en avril, et aucun médecin ne voulait prendre le risque qu’elle vienne à l’étage des greffés.
Il faisait beau et chaud dehors, alors j’ai proposé au patient de sortir à l’extérieur pour voir sa mère; il a sauté sur l’occasion. Je tiens à préciser que pour réaliser ce genre de geste, il faut l’approbation de toute l’équipe qui accepte ainsi de se priver d’une ressource au nom de la dignité et de l’humanité.
Le frère a donc préparé sa mère et nous, le patient. Trop faible pour être installé dans un fauteuil roulant, nous l’avons enroulé dans ses draps et glissé sur une civière. Pour ne prendre aucune chance, j’ai enfilé mon équipement de protection et je suis partie avec mes lingettes et mon patient en direction de la terrasse où sa mère, masquée et gantée, nous attendait.
Beaucoup de larmes et de caresses ont été échangées, mais très peu de paroles... Moins d’une heure pour que les adieux d’une mère à son enfant, sous un soleil radieux, se fassent. Cela a été l’un des plus beaux moments vécus pendant cette pandémie et dont toutes et tous nous nous souviendrons longtemps.
De retour au département, j’ai envoyé la literie au lavage, nous avons tout désinfecté et repris le cours de la journée, persuadés d’avoir fait notre devoir d’humain. Le patient est décédé cette nuit-là, ce qui nous a confirmé que nous avions fait le bon choix.
Geneviève Bourgault, intervenante en soins spirituels, Hôpital de l’Enfant-Jésus, L’Hôtel-Dieu de Québec et CDC Saint-Augustin
Au début d’octobre 2020, j’étais en poste au Centre de convalescence COVID (CDC) Saint-Augustin, soit le quatrième étage du CHSLD Saint-Augustin, quand on m’a demandé d’accompagner un patient mourant de la COVID.
Une travailleuse sociale ainsi qu’une technicienne en éducation spécialisée m’ont sollicitée afin d’offrir une bénédiction de fin de vie à cet homme, car son décès était imminent et leurs propres interventions étaient devenues impossibles.
Je prends alors connaissance que sa conjointe, une personne en situation de handicap physique, ne peut pas venir le voir, car elle est trop à risque d’attraper la COVID et n’a pas accès à un ordinateur ou à un téléphone intelligent (entre autres en raison du confinement et d’un réseau social très limité).
La situation limitait donc grandement mes moyens pour accompagner cet homme et sa femme afin de vivre un dernier moment significatif ensemble. J’ai donc pris rendez-vous avec la dame afin de lui offrir une petite célébration par téléphone conventionnel, puisque c’était le seul moyen de communication possible pour elle.
À la demande de la dame, qui ressentait le besoin de parler d’abord avec sa propre sœur, cette rencontre a eu lieu quelques heures plus tard. Mais à ce moment, son conjoint était devenu inconscient.
La tristesse de cette situation m’a accablée; je me suis senti complètement démunie de devoir accompagner ce couple, marié depuis 60 ans et n’ayant pas eu d’enfants, à l’aide d’un simple appel téléphonique, en sachant que la dame était seule à la maison et que son mari n’était plus en mesure de faire ses propres adieux ni de réagir à ceux de sa conjointe.
C’est donc avec tout mon courage et ma compassion que je suis arrivée à l’avance au chevet de cet homme et lui ai chanté quelques chansons douces en lui caressant les cheveux, de ma main gantée bien sûr. Puis, je lui ai expliqué ce que nous allions vivre dans quelques minutes avec sa conjointe.
J’ai donc partagé, avec ces presque inconnus, un moment d’une grande intimité et d’un grand déchirement humain où j’ai mis mon cellulaire, sur haut-parleur, tout près de l’oreille de l’homme. Sa conjointe l’a remercié pour la vie d’amour qu’ils ont eu, elle s’est excusée de ne pas pouvoir être à ses côtés à cause de la pandémie et lui a donné la permission de partir en paix.
J’ai alors traduis à la dame les rares réactions physiques de son mari : il m’a serré la main une fois et a levé un sourcil sans pouvoir ouvrir les yeux. Puis, je lui ai nommé, de mon propre chef, ce qu’il aurait sans doute aimé pouvoir dire lui-même à sa femme. À ce moment, j’ai dû accepter mon impuissance, mon propre dépouillement, car j’aurais tellement souhaité leur apporter des conditions facilitant ces adieux par-delà ma présence, la musique et la prière faite ensemble... mais humainement, c’est tout ce qu’il m’a été permis d’offrir à ces vieux complices, à ces grands compagnons de vie.
Voilà l’un des accompagnements les plus difficiles que j’ai eu à vivre pendant ma présence de deux mois, à temps complet, dans ce milieu de fin de vie pour les personnes âgées mourant de la COVID-19.
Gabrielle Préfontaine-Racine, travailleuse sociale, Hôpital de l’Enfant-Jésus
J’ai débuté mon emploi de travailleuse sociale à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus depuis quelques mois, en contexte de pandémie. Je travaille aux soins intensifs, où j’ai le privilège de côtoyer une équipe médicale hors du commun, dévouée auprès de patients atteint du virus de la COVID-19.
Malheureusement, il arrive que, dans certaines situations, malgré la qualité des soins prodigués, certains patients ne survivent pas au virus et décèdent. Mon rôle en tant que travailleuse sociale est, entre autres, d’accompagner les familles dans leurs besoins à travers le deuil qu’ils vivent.
Le deuil en contexte de COVID, c’est parfois d’avoir de la difficulté à concevoir la réalité de la perte, compte tenu l’absence de contacts avec notre proche qui s’est prolongée en raison de la période d’isolement; c’est de vivre un immense sentiment de culpabilité, de se sentir responsable de la mort de notre proche, en croyant avoir « ramené » le virus à la maison; c’est de devoir se résigner à limiter les contacts avec notre entourage à cause des consignes sanitaires et du confinement; c’est d’avoir l’impression d’avoir perdu des moments, des souvenirs importants et marquants dans notre vie ainsi que dans celle de notre proche; c’est de se sentir impuissant…
Bref, ce sont plusieurs défis supplémentaires qui s’ajoutent à l’ampleur d’un deuil à vivre.
Le deuil en contexte de COVID, c’est une histoire, des enjeux et des émotions différentes pour chaque personne. Malgré toutes les émotions difficiles vécues à travers un deuil et en lien avec la pandémie, je suis témoin de la beauté de l’humain, de sa capacité de résilience, d’amour, de bienveillance et de respect que les gens partagent.
Pour moi, l’histoire d’un deuil en lien avec la pandémie, c’est la combativité d’une équipe médicale, ce sont les émotions d’une famille, c’est le départ d’un patient qui s’incline devant un virus fatal et c’est la reconnaissance que je ressens d’avoir le privilège de travailler avec l’ensemble de ces personnes.
Céline Chouinard, infirmière, Hôpital de l’Enfant-Jésus
J’arrive au département de soins intensifs, je prends la relève de ma collègue. Elle m’informe que la famille de mon patient a choisi, à la suite de leur rencontre avec l’équipe médicale, de cesser les traitements et de retirer le ventilateur qui le maintenait en vie.
J’aperçois, à son chevet, son fils vêtu de l’équipement COVID requis. J’entre dans la chambre, je me présente et lui explique la procédure lors d’une extubation. Je l’ai déjà expliqué auparavant, mais cette fois-ci, c’est moi qui serai auprès du patient en lui tenant la main, car la technique requiert le port du masque N95. Son fils pourra observer de l’extérieur. Je lui fais la promesse que je serai auprès de son père comme s’il était le mien. Sa conjointe pourra lui parler avec une tablette et un Zoom a été débuté afin que je puisse me présenter. Ils sont en Gaspésie, il a quitté en avion ambulance vers notre centre hospitalier et sa conjointe n’a pas pu lui reparler. Alors, juste avant l’extubation, je place la tablette près de son oreille. Elle lui dit : « bon voyage, je t’aime, mon amour ». Mes larmes coulent... L’ inhalothérapeute procède à l’extubation. Son fils nous observe, en sanglots. Je tiens la main de son père.
Cet homme, ce conjoint, ce père est décédé en 5 minutes, en ma présence. Je demeure près de lui pendant la durée requise d’échange d’air, soit 30 minutes. Durant ce temps, je lui arrange les cheveux. Lorsque son fils est entre, je lui offre mes sympathies. Je sors de la chambre ébranlée. Le patient de la 2118 est décédé, mais il n’était pas seul.