Alors que les efforts de recherche se sont presque toujours concentrés sur les « plaques séniles », Serge Rivest a choisi de s’attaquer à l’Alzheimer par un tout autre angle.
L’une des principales manifestations de la maladie d’Alzheimer est l’apparition de « plaques séniles » dans le cerveau des personnes atteintes. Selon plusieurs, ces dépôts de protéines finiraient par perturber le fonctionnement des neurones. Cependant, toutes les recherches qui ont visé à empêcher la formation de ces plaques ou à les détruire se sont malheureusement soldées par un échec et, à ce jour, il n’existe aucun médicament permettant de lutter efficacement contre cette maladie dégénérative.
Serge Rivest, directeur du Centre de recherche au CHU et chercheur de l’axe Neurosciences, s’intéresse aux liens entre cellules immunitaires et cerveau depuis les débuts de sa carrière. Il y a quelques années, grâce à une puissante technologie d’imagerie qu’il a développée avec son équipe, il a été en mesure de démontrer la présence d’amyloïde vasculaire – ici aussi, des dépôts de protéines – dans le cerveau de souris à qui on avait incorporé le gène de l’Alzheimer. Selon M. Rivest, c’est l’accumulation de cette amyloïde dans les vaisseaux sanguins du cerveau qui serait responsable de la diminution de son oxygénation, laquelle induirait la dégénérescence et les problèmes cognitifs.
Lors de ses recherches, il a aussi constaté que les monocytes, des globules blancs du système immunitaire, s’attaquent naturellement à cette amyloïde vasculaire. Lorsqu’une personne est atteinte d’Alzheimer cependant, l’amyloïde est produite en trop grande quantité et les monocytes ne suffisent pas à freiner sa prolifération. Serge Rivest a donc eu l’idée de stimuler la production des cellules immunitaires afin qu’elles soient suffisamment nombreuses pour détruire l’amyloïde vasculaire au fur et à mesure qu’elle se développe.
Une première molécule a été testée afin d’augmenter naturellement le nombre de monocytes « patrouilleurs », soit ceux qui attaquent l’amyloïde vasculaire. Les premiers tests ont montré que lorsque cette molécule est injectée aux souris atteintes d’Alzheimer, le nombre de leurs monocytes peut quadrupler, voire quintupler, et que cela produit des effets protecteurs.
Selon M. Rivest, le mécanisme de production de l’amyloïde vasculaire commencerait de 20 à 30 ans avant l’apparition des premiers symptômes chez les personnes qui développent l’Alzheimer. L’idée est donc d’éliminer l’amyloïde en continu, dès les débuts de sa production, afin de retarder le plus longtemps possible l’installation de la maladie. Le médicament qui est visé par ces recherches ne soignerait donc pas l’Alzheimer, mais permettrait de le prévenir. Sachant qu’il est maintenant possible de diagnostiquer la maladie une vingtaine d’années avant son apparition grâce à différents biomarqueurs dans le cerveau et dans le sang, c’est une avenue porteuse d’espoir pour les personnes à risque de la développer.
Ce traitement non invasif est en principe parfaitement sécuritaire, puisqu’il ne fait que stimuler un mécanisme naturel. De plus, comme l’explique Serge Rivest, « le deuxième grand avantage de notre approche, c’est que nous n’avons pas besoin d’une molécule qui pénètre la barrière hémato-encéphalique du cerveau, comme c’est le cas pour les traitements pour le Parkinson par exemple, puisque nous passons directement par le sang. »
Maintenant qu’elle sait comment stimuler la production des monocytes patrouilleurs – découverte qui est d’ailleurs aujourd’hui protégée par un brevet international –, l’équipe de M. Rivest collabore avec des chimistes afin de trouver des molécules encore plus puissantes permettant d’induire le mécanisme tout en diminuant les doses nécessaires. Pour le moment, il y a quatre molécules candidates en lice, et elles seront testées au cours des prochains mois sur des sujets sains ainsi que sur des personnes atteintes d’Alzheimer. Avant de pouvoir passer à une phase deux, où la molécule élue sera testée cliniquement sur un plus grand nombre de personnes, il faudra démontrer qu’elle est bel et bien sécuritaire et qu’elle ne provoque pas d’effets secondaires indésirables.
Cette approche totalement nouvelle et différente représente pour le moment l’un des rares espoirs pour cette maladie. Elle a d’ailleurs attiré l’attention des investisseurs qui vont permettre au projet de se développer et d’atteindre ses objectifs. « Ça va prendre plusieurs années pour démontrer que ce mécanisme de prévention fonctionne, mais au moins, il y aura quelque chose à proposer aux gens qui ont les biomarqueurs de la maladie et peut-être même à ceux qui sont diagnostiqués très tôt. Notre souhait est d’éventuellement diminuer le nombre de personnes atteintes de l’Alzheimer », conclut Serge Rivest.
Sur cette image, on aperçoit en rouge l'amyloïde vasculaire déposée en petits agrégats et sur les petits vaisseaux sanguins du cerveau. En vert, ce sont les monocytes et les microglies.